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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Cléopâtre.

Tu pourrais faire mieux, mais ceci est bien déjà.

Antoine.

Je jure par mon épée !…

Cléopâtre.

Jure aussi par ton bouclier… Son jeu s’améliore ; mais il n’est pas encore parfait. — Vois, Charmiane, vois, je te prie, comme cet emportement sied bien à cet Hercule romain[1].

Antoine.

Je vous laisse, madame.

Cléopâtre.

Aimable seigneur, un seul mot… « Seigneur, il faut donc nous séparer… » Non, ce n’est pas cela : « Seigneur, nous nous sommes aimés. » Non, ce n’est pas cela ; vous le savez assez !… C’est quelque chose que je voudrais dire… Oh ! ma mémoire est un autre Antoine ; j’ai tout oublié !

Antoine.

Si votre royauté ne comptait la nonchalance parmi ses sujets, je vous prendrais vous-même pour la nonchalance.

Cléopâtre.

C’est un pénible travail que de porter cette nonchalance aussi près du cœur que je la porte ! Mais, seigneur, pardonnez, puisque le soin de ma dignité me tue dès que ce soin vous déplaît. Votre honneur vous rappelle loin de moi ; soyez sourd à ma folie, qui ne mérite pas la pitié ; que tous les dieux soient avec vous ! Que la victoire, couronnée de lauriers, se repose sur votre épée, et que de faciles succès jonchent votre sentier !

Antoine.

Sortons, madame, venez. Telle est notre séparation, qu’en demeurant ici vous me suivez pourtant, et que moi, en fuyant, je reste avec vous. — Sortons.

(Ils sortent.)
  1. Suivant une antique tradition, les Antonius descendaient d’Hercule par son fils Antéon. Plutarque observe qu’il y avait dans le maintien d’Antoine une certaine grandeur qui lui donnait quelque ressemblance avec les statues et les médailles d’Hercule, dont Antoine affectait de contrefaire de son mieux le port et la contenance.