Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

qui apaisent les impudiques désirs d’une Égyptienne[1]. Regarde, les voilà qui viennent. (Fanfares. Entrent Antoine et Cléopâtre avec leur suite. Des eunuques agitent des éventails devant Cléopâtre). — Observe-le bien, et tu verras en lui la troisième colonne de l’univers[2] devenue le jouet d’une prostituée. Regarde et vois.

Cléopâtre.

Si c’est de l’amour, dites-moi, quel degré d’amour ?

Antoine.

C’est un amour bien pauvre, celui que l’on peut calculer.

Cléopâtre.

Je veux établir, par une limite, jusqu’à quel point je puis être aimée.

Antoine.

Alors il te faudra découvrir un nouveau ciel et une nouvelle terre.

(Entre un serviteur.)
Le serviteur.

Des nouvelles, mon bon seigneur, des nouvelles de Rome !

Antoine.

Ta présence m’importune : sois bref.

Cléopâtre.

Non ; écoute ces nouvelles, Antoine, Fulvie peut-être est courroucée. Ou qui sait, si l’imberbe César ne vous envoie pas ses ordres suprêmes : Fais ceci ou fais cela ; empare-toi de ce royaume et affranchis cet autre : obéis, ou nous te réprimanderons.

Antoine.

Comment, mon amour ?

Cléopâtre.

Peut-être, et même cela est très-probable, peut-être que vous ne devez pas vous arrêter plus longtemps ici ; César vous donne votre congé. Il faut donc l’entendre, Antoine. — Où sont les ordres de Fulvie ? de César, veux-je dire ? ou de tous deux ? — Faites entrer les messagers. — Aussi vrai que je suis reine d’Égypte, tu rougis, Antoine : ce sang qui te monte au visage rend hommage à César ; ou c’est la honte qui colore ton front, quand l’aigre voix de Fulvie te gronde. — Les messagers !

  1. Gipsy est ici employé dans ses deux sens d’Égyptienne et de Bohémienne.
  2. Allusion au Triumvirat.