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SUR SHAKSPEARE.

à sir Bernard Abingdon. Aucun enfant ne naquit de ces deux mariages, et ainsi s’éteignit à la seconde génération la postérité de Shakspeare.

Le jour de sa mort avait été, en Espagne, celui de la mort de Cervantes.

Shakspeare fut enterré dans l’église de Stratford, où subsiste encore son tombeau. Il est représenté de grandeur naturelle, assis dans une niche, un coussin devant lui et une plume à la main. Cette figure avait été dans l’origine, selon l’usage du temps, peinte des couleurs de la vie, les yeux d’un brun clair, la barbe et les cheveux plus foncés. Le pourpoint était écarlate et la robe noire. Les couleurs ternies par le temps en furent rafraîchies en 1748, par les soins de M. John Ward, grand-père de mistriss Siddons et de M. Kemble, sur les profits d’une représentation d’Othello. Mais en 1793, M. Malone, l’un des principaux commentateurs de Shakspeare, fit enduire la statue d’une épaisse couche de blanc, conduit sans doute par cette prévention exclusive en faveur des coutumes modernes qui l’a souvent égaré dans ses commentaires. Un voyageur indigné a, par un quatrain inscrit dans l’Album de l’église de Stratford, appelé la malédiction du poëte sur le profanateur qui « badigeonne son tombeau comme il gâta ses pièces. » Sans adhérer absolument aux dures expressions d’une légitime colère, on ne peut s’empêcher de sourire en retrouvant, dans la couche de blanc de M. Malone, un symbole de l’esprit qui a dicté ses commentaires, et ce caractère général du xviiie siècle asservi à ses propres goûts, et inhabile à comprendre ce qui n’entrait pas dans la sphère de ses habitudes ou de ses idées.

Bien que cette malencontreuse réparation ait eu l’inconvénient d’altérer la physionomie du portrait de Shakspeare, elle n’a cependant pu tout à fait effacer, dit-on, cette expression de douce sérénité qui parait avoir caractérisé la figure comme l’âme du poëte. Sur