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ÉTUDE

embarras. De toutes les suppositions hasardées pour l’expliquer, une seule, à mon avis, a quelque vraisemblance. Dans un temps où l’esprit, comme tourmenté de son inexpérience et de sa jeunesse, essayait de toutes les formes, excepté de la simplicité, près d’une cour où l’euphuisme, langage à la mode, avait porté jusque dans la conversation familière les plus bizarres travestissements de personnes et d’idées, il se peut que, pour exprimer des sentiments réels, le poëte ait pris quelquefois, dans ces compositions légères, un rôle et un langage de convention. On sait, par un pamphlet publié en 1598, que les doux sonnets de Shakspeare, déjà célèbres bien qu’il ne fussent pas encore imprimés, faisaient le charme de ses sociétés particulières ; et si l’on remarque que le trait qui les termine est presque toujours répété et retourné dans plusieurs sonnets de suite, on sera bien tenté de les considérer comme de simples amusements d’un esprit que séduisait toujours l’occasion d’exprimer une idée ingénieuse. Insuffisants donc à éclaircir les faits qu’ils indiquent, ce n’est que par des inductions plus ou moins rapprochées que les sonnets de Shakspeare peuvent offrir quelques renseignements sur ce qui remplit sa vie pendant son séjour à Londres, et pendant ces trente années, maintenant si glorieuses, dont il a mis si peu d’intérêt à conserver les détails.

Peut-être sa situation a-t-elle, aussi bien que son caractère, contribué à ce silence. Un sentiment de fierté autant que la modestie a pu disposer Shakspeare à renfermer dans l’oubli une existence dont il était peu satisfait. L’état de comédien n’avait alors, en Angleterre, ni consistance ni éclat. Quelque différence que mette Hamlet entre les acteurs ambulants et ceux qui appartenaient à un théâtre établi, ces derniers devaient porter aussi le poids de la grossièreté du public dont ils dépendaient, et de celle des confrères avec qui ils partageaient la charge de divertir le public. La passion du spectacle fournissait de l’emploi à des gens de tout étage, depuis