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APPENDICE.

Nous espérons que le lecteur trouvera la traduction de ce fragment bien gauche et bien lourde ; elle atténue pourtant plutôt qu’elle ne charge les défauts du texte. Ainsi, dans le texte, il y a un vers qui se termine par un article dont le substantif n’arrive qu’au vers suivant :

 Et sera ainsi jusqu’à la
Fin générale.

Ne dirait-on pas une parodie des enjambements romantiques ? Cela rappelle ce distique burlesque :

On croira que je suis atteint de folie ou que
Je veux faire ma cour à madame Panckoucke.

Il y a, presque à chaque ligne, une impossibilité de même force. Ici c’est un vers qui n’a point de sens, là une phrase dont la fin ne fait pas suite au commencement ; ailleurs, ce n’est pas entre les mots seulement, mais entre les pensées, que l’on trouve des enjambements et des hiatus plus choquants encore. Ce que dit Hamlet ne répond nullement à ce que dit le roi ; en rapprochant le premier texte et le second, on reconnaît tout de suite une lacune ; les paroles de Hamlet sont faites pour répondre à celles de la reine que le premier texte ne donne pas. La réplique du roi à Hamlet est aussi évidemment falsifiée dans le premier texte ; au lieu de l’idée de Shakspeare, telle que le second texte l’établit, telle que la scène et le personnage l’amènent et la réclament, c’est-à-dire au lieu de la distinction entre les regrets qui sont un devoir et les regrets qui sont un excès, nous voyons là seulement quelques vers récoltés au hasard, coupés en dépit du mètre, et rattachés en dépit de l’idée ; ce n’est pas un premier thème, c’est un abrégé infidèle du beau passage qu’on peut relire à la page 148. Ainsi tout concourt à la même conclusion ; le Hamlet daté de 1603 et retrouvé en 1825 nous est rendu suspect par les indices tirés du texte même, comme par le témoignage des anciens éditeurs de Shakspeare, et par le propre témoignage du poëte, consigné dans le titre de l’édition de 1604. Ce texte de 1603 est tronqué par une mémoire inintelligente et mêlé de remplissages maladroits. Nous manquons encore d’un exemplaire authentique et pur du premier Hamlet, écrit par Shakspeare, en 1589.

Tel qu’il est, cependant, le premier Hamlet a beaucoup à nous