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SUR SHAKSPEARE.

tous les jours. Dès 1570, un ou même deux théâtres réguliers avaient été établis à Londres. En 1583, peu de temps après le succès momentané des puritains contre les théâtres de cette ville, huit troupes de comédiens y jouaient chacune trois fois par semaine. En 1592, c’est-à-dire huit ans avant l’époque où Hardy obtint enfin la permission d’ouvrir un théâtre à Paris, tentative jusqu’alors repoussée par l’inutile privilège des Confrères de la Passion, un pamphlétaire anglais se plaint des gens qui ne veulent pas que le gouvernement s’occupe de la police des spectacles, « lieux où se rassemblent journellement les gentilshommes de la cour, les étudiants en droit, les officiers et les soldats [1]. » Enfin, en 1596, l’affluence des personnes qui se rendaient par eau aux théâtres, situés presque tous sur le bord de la Tamise, entraîna la nécessité d’une augmentation considérable dans le nombre des mariniers.

Un goût si universel et si vif ne se repaîtra pas longtemps de productions insipides et grossières ; un plaisir où l’esprit humain se porte avec tant d’ardeur appelle tous les efforts et toute la puissance de l’esprit humain. Il ne manquait à ce mouvement national qu’un homme de génie, capable de le recevoir et d’élever à son tour le public vers les hautes régions de l’art. Par quelle atteinte l’ébranlement se fit-il sentir à Shakspeare ? Quelle circonstance lui révéla sa mission ? Quel jour soudain éclaira son génie ? Il faut se résoudre à l’ignorer. Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, de même l’esprit de Shakspeare nous apparaît dans ses œuvres isolé, pour ainsi dire, de sa personne. À peine dans le cours des succès du poëte démêle-t-on quelques traces de l’homme, et rien ne nous reste de ces premiers temps où lui seul aurait pu nous parler de lui. Comme acteur, il ne se distingua

  1. Pierce pennylesse his supplication to the devil ; pamphlet de Nash, publié en 1592.