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ACTE V, SCÈNE III.

tions suivantes que pour en être abhorré. » —Réponds-moi, mon fils ; tu as toujours aspiré aux plus sublimes efforts de l’honneur ; tu étais jaloux d’imiter les dieux, qui tonnent souvent sur les mortels, mais qui ne déchirent que l’air du bruit de leur tonnerre, et ne font éclater leur foudre que sur un chêne insensible.—Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Penses-tu qu’il soit honorable pour un mortel généreux de se souvenir toujours de l’injure qu’il a reçue ? —Ma fille, parle-lui.—Il ne s’embarrasse pas de tes pleurs.—Parle donc, toi, mon enfant ; peut-être que ta faiblesse le touchera plus que nos raisons.—Il n’est point dans le monde entier de fils plus redevable à sa mère ; et, cependant, il me laisse ici parler en vain comme si je déclamais sur des tréteaux. Va, tu n’as jamais montré dans ta vie aucun égard pour ta tendre mère ; tandis que, comme une pauvre poule, qui ne désire pas d’avoir plus d’un poussin, elle t’a élevé pour la guerre et t’a comblé d’honneurs pendant la paix. —Dis que ma requête est injuste, et chasse-moi avec mépris de ta présence ; mais si elle ne l’est pas, tu manques à ton devoir, et les dieux te puniront de me refuser la déférence qui est due à une mère.—Il se détourne de nous. À genoux, femmes ; faisons-lui honte de cette humiliation.—Sans doute il doit bien plus d’orgueil à son surnom, de Coriolan, que de pitié à nos prières. Fléchissons encore une fois le genou devant lui ; ce sera notre dernière supplication, et puis nous allons retourner dans Rome, et mourir parmi nos concitoyens.—Ah ! du moins, daigne nous accorder un regard. Ce jeune enfant, qui ne peut exprimer ce qu’il voudrait dire, mais qui tombe à genoux et tend ses mains vers toi pour nous imiter, appuie notre demande de raisons plus fortes que tu n’en as de la refuser.—Allons, partons. Oui, cet homme a une Volsque pour mère : sa femme habite à Corioles ; et si ce jeune enfant lui ressemble, c’est un effet du hasard.—Laisse-nous partir.—Je ne dis plus rien, jusqu’à ce que je voie notre patrie en feu, et alors je retrouverai la parole.

coriolan.—Ô ma mère ! ma mère ! (Il la prend par la