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CORIOLAN.

ménénius.—Oui, aussi aisément que le bras d’Hercule secouait de l’arbre un fruit mûr. Vous avez fait là une magnifique besogne.

brutus.—Mais votre nouvelle est-elle bien vraie ?

cominius.—Oui, oui ; et vous pâlirez avant de la trouver fausse. Toutes les régions d’alentour se révoltent avec joie. Ceux qui résistent sont raillés de leur stupide valeur, et périssent en véritables insensés. Et qui peut le blâmer ? Vos ennemis et les siens trouvent en lui quelque chose de grand et d’extraordinaire.

ménénius.—Nous sommes tous perdus, si ce grand homme n’a pitié de nous.

cominius.—Et qui ira l’implorer ? pas les tribuns : ce serait une honte. Le peuple mérite sa clémence, comme le loup mérite la pitié des bergers. Et ses meilleurs amis, s’ils disaient : « Sois miséricordieux pour Rome, » se conduiraient envers lui comme ceux qui ont mérité sa haine, et se montreraient ses ennemis.

ménénius.—Vous avez raison. Pour moi, je le verrais près de ma maison, un tison ardent à la main pour la brûler, que je n’aurais pas le front de lui dire : « Je t’en conjure, arrête. » (Aux tribuns.)—Vous avez fait là un beau coup, avec vos ruses ; vous avez bien réussi !

cominius.—Vous avez jeté toute la ville dans une consternation qui n’a jamais eu d’égale, et jamais le salut de Rome ne fut plus désespéré.

les tribuns.—Ne dites pas que c’est nous qui avons attiré ce malheur.

ménénius.—Qui donc ? Est-ce nous ? nous l’aimions, il est vrai ; mais, en nobles lâches et ingrats, nous avons laissé le champ libre à votre populace, qui l’a chassé au milieu des huées.

cominius.—Mais je crains bien qu’elle ne l’y rappelle à grand cris. Aufidius, le second des mortels après Coriolan, lui obéit en tout, comme s’il n’était que son officier. Le désespoir est toute la politique, la force et la défense que Rome peut leur opposer.

(Il entre une foule de citoyens.)

ménénius.—Voici la foule.—Et Aufidius est donc avec