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CORIOLAN.

coriolan.—Je vois avec étonnement que ma mère commence à ne me plus approuver ; elle, qui avait coutume de les appeler des bêtes à laine, des êtres créés pour être vendus et achetés à vil prix, pour venir montrer leurs têtes nues dans les assemblées, et rester, la bouche béante, dans le silence de l’admiration, lorsqu’un homme de mon rang se levait pour discuter la paix ou la guerre ! —Je parle de vous, ma mère : pourquoi me souhaiteriez-vous plus de douceur ? Voudriez-vous donc que je mentisse à ma nature. Mieux vaut que je me montre tel que je suis.

volumnie.—Ô Coriolan, Coriolan, j’aurais voulu vous voir consolider votre pouvoir avant de le perdre à jamais.

coriolan.—Qu’il devienne ce qu’il pourra.

volumnie.—Vous auriez pu être assez vous-même, tout en faisant moins d’efforts pour paraître tel. Votre caractère aurait trouvé bien moins d’obstacles, si vous aviez dissimulé jusqu’à ce qu’ils fussent hors d’état de vous contrarier.

coriolan.—Qu’ils aillent se faire pendre.

volumnie.—Et que le feu les dévore.

(Ménénius arrive, accompagné d’une troupe de sénateurs.)

ménénius.—Allons, allons, vous avez été trop brusque, un peu trop brusque. Il faut revenir devant le peuple, et réparer cela.

les sénateurs.—Il n’y a point d’autre remède, si vous ne voulez pas voir notre belle Rome se fendre par le milieu et s’écrouler.

volumnie.—Je vous prie, mon fils, acceptez ce conseil : je porte un cœur qui n’est pas plus souple que le vôtre ; mais j’ai une tête qui sait faire meilleur usage de la colère.

ménénius.—Bien parlé, noble dame. Moi, plutôt que de le voir s’abaisser à ce point devant la multitude, si la crise violente de ces temps ne l’exigeait pas, comme le seul remède qui puisse sauver l’État, on me verrait encore endosser mon armure, qu’à peine à présent je puis porter.