Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
431
ACTE III, SCÈNE I.

coriolan.—Comment, plus de paroles ! —De même que j’ai versé mon sang pour mon pays, sans jamais craindre aucune force ennemie…, tant que je respirerai, ma voix ne cessera d’articuler des paroles contre cette lèpre dont nous rougirions d’être atteints, et que pourtant nous prenons tous les moyens de gagner.

brutus.—Vous parlez des masses comme si vous étiez un dieu fait pour punir, et non pas un mortel soumis aux mêmes faiblesses qu’elles.

sicinius.—Il serait à propos que le peuple en fût instruit.

ménénius.—De quoi ? de quoi ? de sa colère ?

coriolan.—De la colère ? Quand je serais aussi paisible que le sommeil de la nuit, par Jupiter, ce serait encore mon sentiment.

sicinius.—C’est un sentiment qui doit rester un poison dans le cœur qui le conçoit, et n’en point sortir ; c’est moi qui vous le dis.

coriolan.—Qui doit rester ! Entendez-vous ce Triton du fretin ? Remarquez-vous son absolu qui doit ?

cominius.—Oui, on dirait que c’est la loi qui parle.

coriolan.—Ô patriciens vertueux, mais imprévoyants ; ô graves, mais imprudents sénateurs, pourquoi avez-vous donné à cette hydre le droit de se choisir un officier qui, avec son qui doit, lui qui n’est que la trompette et le bruit du monstre, a l’audace de dire qu’il changera le fleuve de votre puissance en un vil fossé, et s’emparera de son cours. Si c’est lui qui a le pouvoir en main, inclinez-vous devant lui dans votre ignorance ; mais s’il n’en a aucun, réveillez-vous, et renoncez à votre dangereuse douceur. Si vous êtes sages, n’agissez pas comme la foule des insensés ; si vous n’êtes pas plus sages qu’eux, permettez donc qu’ils viennent siéger auprès de vous. Vous n’êtes que des plébéiens, s’ils sont des sénateurs. Et certes ils ne sont pas moins que des sénateurs, lorsque dans le mélange de leurs suffrages et du vôtre, c’est le leur qui l’emporte… Eux choisir leur magistrat ! Et ils choisissent un homme qui oppose son qui doit, son qui doit populaire, aux décisions d’un tribunal