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CORIOLAN.

lieu : c’est là que les sénateurs mêleront des larmes à leurs sourires ; que nos illustres patriciens écouteront, hausseront les épaules, et finiront par admirer ; que nos dames romaines trembleront d’effroi et de plaisir ; que ces tribuns imbéciles, qui, ligués avec les vils plébéiens, détestent ta gloire, seront forcés de s’écrier, en dépit de leurs cœurs : « Nous remercions les dieux d’avoir accordé à Rome un tel guerrier. » Et pourtant, avant le banquet de cette journée dont tu es venu encore prendre ta part, tu étais déjà rassasié.

(Titus Lartius ramène ses troupes victorieuses, et lasses de poursuivre l’ennemi.)

lartius.—Ô mon général ! (Montrant Marcius.) Voilà le coursier, nous n’en sommes que le caparaçon.—Avez-vous vu ?…

marcius.—De grâce, épargnez-moi : ma mère, qui a le privilège de vanter son sang, m’afflige quand elle me donne des louanges. J’ai fait comme vous tout ce que j’ai pu, par le même motif qui vous anime, l’amour de ma patrie. Quiconque a pu accomplir ce qu’il souhaitait a fait plus que moi.

cominius.—Vous ne serez point le tombeau de votre mérite : il faut que Rome connaisse tout le prix d’un de ses enfants. Dérober à sa connaissance vos actions, ce serait un crime plus grand qu’un vol, ce serait une trahison. On peut les célébrer, les élever au comble de la louange, sans passer les bornes de la modération. Ainsi, je vous en conjure, écoutez-moi en présence de toute l’armée, je veux dire ce que vous êtes, et non récompenser ce que vous avez fait.

marcius.—J’ai sur mon corps quelques blessures, qui deviennent plus cuisantes quand j’en entends parler.

cominius.—N’en pas parler serait une ingratitude qui pourrait les envenimer et les rendre mortelles.—De tous les chevaux dont nous avons pris un bon nombre, de tous les trésors que nous avons amassés dans Corioles et sur le champ de bataille, nous vous offrons la dîme : levez à votre choix ce tribut sur tout le butin, avant le partage général.