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ACTE I, SCÈNE VI.

noncer que les Volsques vous avaient repoussés jusque dans vos tranchées ? Où est-il ? Qu’on le fasse venir.

marcius.—Laissez-le en paix ; il vous a dit la vérité. Mais quant à nos seigneurs les plébéiens… (Peste soit des coquins… des tribuns, voilà tout ce qu’ils méritent), la souris n’a jamais fui le chat comme ils fuyaient devant une canaille encore plus méprisable qu’eux.

cominius.—Mais comment avez-vous pu triompher ?

marcius.—Ce temps est-il fait pour l’employer en récits ? Je ne crois pas… Où est l’ennemi ? Êtes-vous maîtres du champ de bataille ? Si vous ne l’êtes pas, pourquoi rester dans l’inaction avant que vous le soyez devenus ?

cominius.—Marcius, nous avons combattu avec désavantage ; et nous nous sommes repliés, pour assurer l’exécution de nos desseins.

marcius.—Quel est leur ordre de bataille ? Savez-vous de quel côté sont placées leurs troupes d’élite ?

cominius.—Suivant mes conjectures, leur avant-garde est formée des Antiates, qui sont leurs meilleurs soldats : à leur tête est Aufidius, le centre de toutes leurs espérances.

marcius.—Je vous conjure, au nom de toutes les batailles où nous avons combattu et de tout le sang que nous avons versé ensemble, au nom des serments que nous avons faits de rester toujours amis, envoyez-moi sur-le-champ contre Aufidius et ses Antiates, et ne perdons pas l’occasion. Remplissons l’air de traits et d’épées nues : tentons la fortune à cette heure même…

cominius.—J’aimerais mieux vous voir conduire à un bain salutaire, et panser vos blessures : mais jamais je n’ose vous refuser ce que vous demandez. Choisissez vous-même parmi ces soldats ceux qui peuvent le mieux seconder votre entreprise.

marcius.—Je choisis ceux qui voudront me suivre. S’il y a parmi vous quelqu’un (et ce serait un crime d’en douter) qui aime sur son visage le fard dont il voit le mien coloré, qui craigne moins pour ses jours que pour son honneur, qui pense qu’une belle mort est préférable