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CORIOLAN.

Tels étaient les lambeaux de phrases par lesquels ils exhalaient leurs plaintes. On a daigné leur répondre. On leur a accordé leur demande, une demande étrange qui suffirait à briser le cœur de la générosité, et à faire pâlir un pouvoir hardi ! ils ont jeté leurs bonnets en l’air comme s’ils eussent voulu les accrocher aux cornes de la lune, et ils ont poussé des cris de jalouse allégresse.

ménénius.—Que leur a-t-on accordé ?

marcius.—D’avoir cinq tribuns de leur choix pour soutenir leur vulgaire sagesse. Ils ont nommé Junius Brutus ; Sicinius Vélutus en est un autre : le reste… m’est inconnu.—Par la mort ! la canaille aurait démoli tous les toits de Rome, plutôt que d’obtenir de moi cette victoire. Avec le temps, elle gagnera encore sur le pouvoir, et trouvera de nouveaux prétextes de révolte.

ménénius.—Étrange événement !

marcius, au peuple—Allez vous cacher dans vos maisons, vils restes de la sédition.

le messager.—Où est Caïus Marcius ?

marcius.—Me voici. Que viens-tu m’annoncer ?

le messager.—Les Volsques ont pris les armes, seigneur.

marcius.—J’en suis content ; nous allons nous purger de notre superflu moisi.—Voyez, voilà les plus respectables de nos sénateurs !

(On voit entrer Cominius, Titus Lartius, d’autres sénateurs, Junius Brutus et Sicinius Vélutus.)

premier sénateur.—Ce que vous nous avez annoncé dernièrement était la vérité, Marcius : les Volsques ont pris les armes.

marcius.—Ils ont un général, Tullus Aufidius, qui vous embarrassera. J’avoue ma faiblesse, je suis jaloux de sa gloire ; et si je n’étais pas ce que je suis, je ne voudrais être que Tullus.

cominius.—Vous avez combattu ensemble.

marcius.—Si la moitié de l’univers était en guerre avec l’autre, et qu’il fût de mon parti, je me révolterais pour n’avoir à combattre que lui : c’est un lion que je suis fier de pouvoir chasser.