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ACTE I, SCÈNE I.

lui portaient une envie aussi raisonnable que celle qui vous anime contre nos sénateurs, parce qu’ils ne sont pas comme vous…

second citoyen.—La réponse de votre estomac ! quelle fut sa réponse ? —Ah ! si la tête majestueuse et faite pour la couronne ; si l’œil, sentinelle vigilante ; si le cœur, notre conseiller ; le bras, notre soldat ; la jambe, notre coursier ; la langue, notre trompette ; si tous les autres membres, et cette foule de menus organes qui soutiennent et conservent notre machine ; si tous…

ménénius.—Quoi donc ! il me coupe la parole, cet homme-là ! Eh bien ! quoi ? Voyons.

second citoyen.—Si tous voyaient ce cormoran d’estomac, le gouffre du corps humain, prétendre leur faire la loi…

ménénius.—Eh bien ! après ?

second citoyen.—Si les principaux agents se plaignaient de l’estomac, qu’aurait-il à répondre ?

ménénius.—Je vous le dirai, si vous pouvez m’accorder un peu de ce qui est si rare chez vous, un peu de patience ; vous la saurez, la réponse de l’estomac.

second citoyen.—Vous nous la faites bien attendre.

ménénius.—Remarquez bien ceci, mon ami. Notre grave estomac était réfléchi, et nullement inconsidéré comme ses accusateurs. Voici sa réponse : « Il est vrai, mes amis, vous qui faites partie du corps, dit-il, que je reçois d’abord toute la nourriture qui vous fait vivre, et cela est juste, car je suis l’entrepôt et le magasin du corps entier. Mais si vous y réfléchissez, je renvoie tout par les fleuves de votre sang jusqu’au cœur qui est la cour de l’âme, et jusqu’à la résidence du cerveau : car les canaux qui serpentent dans l’homme, les nerfs les plus forts, les veines les plus petites, reçoivent de moi cette nourriture suffisante qui entretient leur vie, et quoique vous tous à la fois, mes bons amis » (c’est l’estomac qui parle, écoutez-moi)…

second citoyen.—Oui, oui. Bien ! bien !

ménénius.— « Quoique vous ne puissiez pas voir tout de suite ce que je distribue à chacun en particulier, je