Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
ÉTUDE

le faire recevoir sous le titre de call-boy, on comprend sans peine par quels degrés un homme supérieur franchit rapidement toute la carrière dont il a obtenu l’entrée. Mais il serait plus difficile de concevoir qu’avec l’exemple et la protection de Greene, la carrière théâtrale, ou du moins le désir de s’y essayer comme acteur, n’eût pas été la première ambition de Shakspeare. L’époque était venue où les ambitions de l’esprit s’allumaient de toutes parts ; et la poésie dramatique, depuis longtemps au rang des plaisirs nationaux, avait enfin acquis en Angleterre cette importance qui appelle les chefs-d’œuvre.

Nulle part sur le continent le goût de la poésie n’a été aussi constant et aussi populaire que dans la Grande-Bretagne. L’Allemagne a eu ses minnesingers, la France ses trouvères et ses troubadours ; mais ces gracieuses apparitions de la poésie naissante montèrent rapidement vers les régions supérieures de l’ordre social, et tardèrent peu à s’évanouir. Les ménestrels anglais ont traversé toute l’histoire de leur pays dans une condition plus ou moins brillante, mais toujours reconnue par la société, constatée par ses actes, déterminée par ses règlements. Ils y paraissent comme une corporation véritable qui a ses affaires, son influence, ses droits, qui pénètre dans tous les rangs, et s’associe aux divertissements du peuple comme aux fêtes de ses chefs. Héritiers des bardes bretons et des scaldes Scandinaves, avec qui les confondent sans cesse les écrivains anglais du moyen âge, les ménestrels de la vieille Angleterre conservèrent assez longtemps une portion de l’autorité de leurs devanciers. Plus tard soumise, plus tôt délaissée, la Grande-Bretagne ne reçut point, comme la Gaule, l’empreinte universelle et profonde de la civilisation romaine. Les Bretons disparurent ou se retirèrent devant les Saxons et les Angles ; depuis cette époque, la conquête des Danois sur les Saxons, des Normands sur les Saxons et les Danois réunis, ne mêla sur ce sol que des peuples d’origine commune, d’habitudes analogues, à peu près également barbares. Les