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ACTE I, SCÈNE II.

Prospero.

Oh ! tu étais un chérubin qui me sauva. Quand je mêlais à la mer mes larmes amères, quand je gémissais sous mon fardeau, tu souris, remplie d’une force qui venait du ciel, et je sentis naître en moi assez de courage pour supporter tout ce qui pourrait arriver.

Miranda.

Comment pûmes-nous aborder à un rivage ?

Prospero.

Par une providence toute divine. Nous avions quelque nourriture et un peu d’eau fraîche qu’un noble Napolitain, Gonzalo, chargé en chef de l’exécution de ce dessein, nous avait données par pitié ; il nous donna de plus de riches vêtements, du linge, des étoffes, et autres meubles nécessaires qui depuis nous ont bien servi ; et de même, sachant que j’aimais mes livres, sa bonté me pourvut d’un certain nombre de volumes tirés de ma bibliothèque, et qui me sont plus précieux que mon duché.

Miranda.

Je voudrais bien voir quelque jour cet homme.

Prospero.

Maintenant je me lève ; demeure encore assise, et écoute comment finirent nos tribulations maritimes. Nous arrivâmes dans cette île où nous sommes ici ; devenu ton instituteur, je t’ai fait faire plus de progrès que n’en peuvent faire d’autres princesses qui ont plus de temps à dépenser en loisirs inutiles, et des maîtres moins vigilants.

Miranda.

Que le ciel vous en récompense ! À présent, seigneur, dites-moi, je vous prie, car cela agite toujours mon esprit, quel a été votre motif pour soulever cette tempête ?

Prospero.

Apprends encore cela. Par un hasard des plus étranges, la fortune bienfaisante, aujourd’hui ma compagne chérie, m’amène mes ennemis sur ce rivage, et ma science de l’avenir me découvre qu’une étoile propice domine à mon zénith, et que si, au lieu de soigner son influence, je la néglige, mon sort deviendra toujours moins favorable. Cesse ici tes questions ; tu es disposée à t’endormir ; c’est un favorable assoupissement ; cède à sa puissance ; je sais que tu n’es pas maîtresse d’y résister.