Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.
288
NOTE SUR LA DATE DE HAMLET.

parle en même temps des théâtres privés. Quand les enfants de Saint-Paul commencèrent leurs représentations, il y avait déjà nombre d’années que les riches seigneurs de la cour avaient pris l’habitude d’enrôler parmi leurs serviteurs des troupes de comédiens : Élisabeth était depuis peu sur le trône, lorsque lord Leicester donna l’exemple, et avant 1584 il avait déjà eu dix imitateurs. C’est à l’ensemble de ces concurrences gênantes que Shakspeare, dans le premier Hamlet, attribue les défections du public ; il n’y a point de chronologie exacte à tirer d’une phrase où sont rapprochés des faits qui s’espacent sur plus de dix années ; la troupe où Shakspeare était engagé datait de 1575, et c’est à cause de son existence ancienne et non interrompue que cette troupe, par l’organe de son poëte, traitait de nouveaux venus tous ses rivaux. Ainsi, soit que l’on considère en elle-même cette phrase du premier Hamlet, soit qu’on la compare au passage correspondant du second Hamlet, tout ce qu’on en peut conclure, c’est que le second Hamlet a été écrit après 1600, et le premier avant 1591 ; mais elle ne prouve aucunement que le premier Hamlet, date de 1584.

Mais Shakspeare, en 1584, donnait à son fils le nom de Hamlet ! Oui, ou du moins celui de Hamnet ; ainsi le mentionne le registre de l’état civil de Stratford-sur-Avon. Mais Hamlet ou Hamnet, peu importe : on voit, dans divers actes, les deux noms couramment confondus ; seulement, comment voir dans cet acte de baptême la moindre trace d’intentions sombres ou de préoccupations poétiques ? L’enfant reçut son nom tout simplement de son parrain, M. Hamnet ou Hamlet Sadler, comme sa sœur jumelle recevait le sien de Mme Judith Sadler, sa marraine ; et si Amleth, le héros de la légende danoise et des histoires de Belleforest, a quelque chose à voir en tout ceci, ce n’est pas qu’il ait servi de patron au fils de Shakspeare : très-évidemment, au contraire, le prince de Danemark ne naquit pour la scène et ne s’appela Hamlet qu’après l’enfant obscur de Stratford-sur-Avon, à qui il emprunta l’orthographe anglaise du nom sous lequel il est à jamais connu. D’ailleurs, le lecteur trouvera à la fin de ce volume un Appendice consacré à la comparaison des différents textes de Hamlet, et cette étude plus générale lui fournira, nous l’espérons, quelques raisons encore de conclure comme nous sur le point du débat spécial auquel nous avons dû nous borner ici.