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ACTE V, SCÈNE II.

hamlet. — Si tu es un homme, donne-moi la coupe. Lâche-la, par le ciel ! je l’aurai… Ô Dieu ! Horatio, quel nom meurtri va me survivre, si les choses demeurent ainsi ignorées ! Si tu m’as jamais porté dans ton cœur, absente-toi quelque temps encore de la suprême félicité ; reste dans ce monde cruel à respirer un air douloureux, pour raconter mon histoire. (Une marche sonne au loin ; coups de canon derrière la scène.) Quel est ce bruit guerrier ?

osrick. — Le jeune Fortinbras, revenu de Pologne en conquérant, envoie aux ambassadeurs d’Angleterre cette salve guerrière.

hamlet. — Ah ! je meurs, Horatio ! le poison puissant abat tout à fait mes esprits ; je ne pourrai vivre assez pour savoir les nouvelles d’Angleterre. Mais je prédis que l’élection se fixera sur Fortinbras : il a ma voix mourante ; dis-lui cela, avec les circonstances, grandes ou petites, qui ont provoqué… le reste appartient au silence.

(Il meurt.)

horatio. — Ainsi se brise un noble cœur. Dors bien, cher prince ; et que des essaims d’anges chantent pour te porter au repos ! (Une marche derrière la scène.) Mais pourquoi le tambour vient-il ici ?

(Entrent Fortinbras, les ambassadeurs d’Angleterre et autres.)

fortinbras. — Où est ce spectacle ?

horatio. — Qu’est-ce que vous voulez voir ? Si c’est du malheur ou de la stupeur, ne cherchez pas plus loin.

fortinbras. — Voilà une curée qui crie : point de quartier ! Ô mort orgueilleuse, quel est donc le banquet qui se prépare dans ta caverne éternelle, pour que tu aies frappé tant de princes d’un seul coup si sanglant !

premier ambassadeur. — La vue en est horrible, et notre mission arrive trop tard d’Angleterre ; elle est maintenant insensible, l’oreille qui devait nous donner audience pour apprendre de nous que ses ordres sont remplis, et que Rosencrantz et Guildenstern ont péri. D’où nous viendront les remerciements qui nous sont dus ?

horatio. — Ce ne serait pas de sa bouche, si même il avait encore le pouvoir de la vie pour vous remercier : il n’a jamais donné l’ordre de leur mort. Mais puisque