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HAMLET.

second paysan. — Bah ! il n’avait aucun blason.

premier paysan. — Quoi ? es-tu donc un païen ? comment entends-tu l’Écriture ? L’Écriture dit : « Adam cultiva ; » et comment aurait-il cultivé sans porter du sable et du vert [1] ? Mais je te proposerai une autre question ; si tu ne me réponds point juste, confesse-toi…

second paysan. — Va !

premier paysan. — Quel est celui qui bâtit plus solidement que le maçon, le charpentier et l’ouvrier de marine ?

second paysan. — Le faiseur de potences ; car sa bâtisse survit à mille de ceux qui viennent s’y loger.

premier paysan. — Par ma foi, j’aime ta répartie : la

  1. Dans le texte le jeu de mots roule sur le double sens de arms, qui signifie tantôt bras, tantôt armes ou blason. « Adam avait un blason, car il n’aurait pu cultiver sans bras ; » tel est, littéralement, le sophisme facétieux du fossoyeur. Nous avons cherché un équivalent qui eût trait aussi au blason. Vair, dans le langage héraldique, est le nom des fourrures, comme sable est synonyme de noir. Dans le même langage, porter d’une couleur signifie : avoir des armes de la couleur indiquée. Le jeu de mots admis dans la traduction ne vaut rien : mais nous ne demandons même pas qu’on nous en pardonne la pauvreté ; sans finesse et sans orthographe, il ne va que mieux au personnage et au sinistre effet de toute cette gaieté vulgaire que Shakspeare a mise en scène dans un lieu si solennel. Tous les détails de ce dialogue sont d’ailleurs autant de traits satiriques que Shakspeare lance contre les ridicules de son temps, contre ceux de la science héraldique après ceux de la logique judiciaire. Malgré le très-ancien distique populaire qui avait dit :

    Adam poussait sa bêche, Ève tournait son fil,
    Le gentilhomme, alors, où donc se trouvait-il ?

    les archéologues de la noblesse anglaise professaient, au xvie siècle, dans tous leurs traités sur le blason, tantôt qu’Abel avait été le premier gentilhomme, tantôt que Caïn était devenu un vilain sous le coup de la colère divine et Seth un gentilhomme par la bénédiction de ses parents. Les plus modérés ne faisaient remonter qu’à Jésus-Christ l’origine de l’aristocratie et donnaient pour armoiries à Notre-Seigneur les instruments de sa Passion, comme en font foi les figures et les devises imprimées sur quelques vieilles reliures de livres pieux. D’autres encore enseignaient que le fer même de la bêche d’Adam était le type des écussons triangulaires et que l’écusson en forme de losange, habituellement consacré aux armoiries féminines, imitait le fuseau d’Ève.