Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
255
ACTE V, SCÈNE I.

second paysan. — Mais est-ce la loi ?

premier paysan. — Oui, pardieu ! c’est la loi, la loi touchant l’enquête du coroner.

second paysan. — Voulez-vous savoir la vérité là-dessus ? Si ce n’avait point été une demoiselle noble, elle aurait été enterrée en dehors de la terre sainte.

premier paysan. — Pour çà, c’est bien parlé ; et de plus c’est une pitié que les grands personnages, en ce monde, soient en passe de se noyer et de se pendre plus que leurs frères en Jésus-Christ. Allons, ma bêche ; il n’y a point de plus anciens gentilshommes que les jardiniers, les terrassiers et les fossoyeurs : ils continuent la profession d’Adam.

second paysan. — Était-il gentilhomme ?

premier paysan. — Il est le premier qui ait jamais porté de sable et de vair.

    Plowden un procès qui semble lui avoir servi de thème. Sir James Hale s’étant suicidé en se noyant dans une rivière, il s’agissait de décider si un bail dont il jouissait devait continuer à courir au profit de sa veuve, ou bien, à cause du suicide, passer au profit de la Couronne ; et le sergent Walsh raisonnait ainsi : « L’action consiste en trois parties : la première partie est la conception, qui est l’acte de l’esprit se repliant et méditant pour savoir s’il convient ou s’il ne convient pas de se noyer et quelles sont les façons de le faire ; la seconde partie est la résolution qui est l’acte de l’esprit se déterminant à se détruire et à le faire spécialement de telle ou telle façon ; la troisième partie est l’accomplissement qui est l’exécution de ce que l’esprit s’est déterminé à faire. Et cet accomplissement consiste encore en deux parties, qui sont le commencement et la fin : le commencement est la perpétration de l’acte qui cause la mort, et la fin est la mort, qui est seulement une conséquence de l’acte, etc., etc. » Voyez encore si les juges Weston, Anthony Brown et lord Dyer ne se montrèrent pas eux-mêmes, dans leurs considérants, aussi puérilement pointilleux que le sergent Walsh ou le paysan de Shakspeare : « Sir James Hale est mort, » dirent-ils, « et comment en vint-il à mourir ? par noyade, peut-on répondre. Et qui est-ce qui l’a noyé ? Sir James Hale. Et quand l’a-t-il noyé ? De son vivant. De sorte que sir James Hale étant en vie a causé le décès de sir James Hale, et l’acte du vivant fut la mort du défunt. La raison veut, par conséquent, que l’on punisse de cette offense le vivant qui l’a commise, et non le mort, etc., etc. » En vérité, Shakspeare n’a pas exagéré.