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HAMLET.

le roi. — Alors, voulez-vous les connaître ?

laërtes. — Quant à ses bons amis, voici comment je leur ouvrirai mes bras, tout larges ; et semblable au tendre pélican qui donne sa vie, je les nourrirai de mon sang.

le roi. — Eh bien ! maintenant vous parlez comme un bon fils et un loyal gentilhomme. Que je ne suis pas coupable de la mort de votre père, et que j’en ai le plus sensible chagrin, c’est ce qui pénétrera dans votre propre raison, aussi droit que le jour pénètre dans vos yeux.

le peuple, derrière le théâtre. — Laissez-la entrer.

laërtes. — Qu’est-ce donc ? quel est ce bruit ? (Ophélia entre, bizarrement ajustée avec des fleurs et des brins de paille.) Ô chaleur, dessèche mon cerveau ! ô larmes sept fois salées, consumez en mes yeux tout don de sentir et d’agir ! Par le ciel, ta folie sera si bien payée à son poids que ce sera notre plateau qui fera tourner le fléau de la balance ! Ô rose de mai, chère fille, bonne sœur, douce Ophélia ! Ô ciel, est-il possible que la raison d’une jeune fille soit aussi mortelle que la vie d’un vieillard ? La nature s’affine dans l’amour ; et, ainsi affinée, elle envoie, en témoignage d’elle-même, vers l’objet tant aimé, quelque chose de sa précieuse essence.

ophelia. — (Elle chante.)

Ils l’ont porté le visage nu dans la bière, tra, la, la, la ! tra, la, la, la ! et sur son tombeau vinrent pleuvoir bien des larmes…

Bonsoir, mon tourtereau.

laërtes. — Tu aurais ta raison, et tu m’exciterais à la vengeance, que cela ne pourrait pas m’émouvoir autant.

ophelia. — Il faut que vous chantiez :

À bas ! à bas jetez-le donc à bas !

Comme la ritournelle va bien là [1] ! C’est ce traître d’intendant, qui avait ravi la fille de son maître.

  1. À la scène antérieure, entre Ophélia folle et la reine de Danemark, la première édition de Hamlet donne cette indication