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ACTE III, SCÈNE IV.

hamlet. — Rien, en aucune façon, de ce que je vous ai dit de faire. Non, laissez ce roi bouffi vous attirer encore au lit, vous pincer gaiement la joue, vous appeler sa petite souris ; laissez-le, pour une paire de baisers fumeux, ou pour quelques jeux de ces doigts damnés sur votre cou, vous amener à lui révéler toute cette affaire, comme quoi je ne suis pas réellement en démence, mais fou par artifice. Il serait bon que vous le lui fissiez connaître ; car quelle femme, à moins d’être une belle, chaste et sage reine, voudrait cacher à un tel crapaud, à une telle chauve-souris, à un tel matou, des secrets qui l’intéressent si chèrement ? qui voudrait en user ainsi ? Non, en dépit du bon sens et de la discrétion, allez, sur le toit de la maison, ôter la cheville qui fermait la cage ; laissez s’envoler les oiseaux ; et puis, comme le singe fameux, glissez-vous dans la cage pour en faire l’essai, et rompez-vous vous-même le col à terre [1].

la reine. — Sois assuré que, si les paroles sont faites de souffle et si le souffle est fait de vie, je n’ai pas de vie pour exhaler un souffle de ce que tu m’as dit.

hamlet. — Il faut que je parte pour l’Angleterre, vous le savez ?

la reine. — Hélas ! je l’avais oublié. Cela a été décidé ?

hamlet. — Les lettres sont déjà scellées ! et mes deux camarades d’études, — à qui je me fierai comme je me fierai à des vipères armées de leurs crocs, — portent le mandat ; ils doivent me frayer le chemin, et me guider vers l’embuscade ! laissons faire, car là est l’amusement : faire sauter l’ingénieur par son propre pétard ! Ou la besogne sera bien dure, ou je creuserai à une toise au-dessous de leur mine, et je les lancerai dans la lune. Oh !

  1. Un autre auteur anglais, du commencement du xviie siècle sir John Suckling, dans une de ses lettres, semble faire allusion à la même histoire enfantine ou populaire d’où provenait ce passage de Shakspeare « C’est, dit sir J. Suckling, l’histoire des singes et des perdrix : tu restes tout ébahi à contempler une beauté jusqu’à ce qu’elle soit perdue pour toi, et alors tu en laisses sortir une autre et tu la contemples encore jusqu’à ce qu’elle soit partie aussi. »