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HAMLET.

Les intérêts de notre empire ne peuvent endurer ces hasards dangereux, et croissant d’heure en heure, qui naissent de ses accès.

guildenstern. — Nous allons nous préparer. Elle est très-sainte et religieuse la crainte qui s’éveille pour maintenir saufs tant et tant de corps qui vivent et se nourrissent de Votre Majesté.

rosencrantz. — La vie isolée et privée est sujette à ce devoir d’employer la force et l’armure entière de l’esprit pour se préserver de toute atteinte ; mais bien plus encore cette âme au salut de laquelle se rattachent et se fient les vies de beaucoup d’autres. Le décès d’une majesté n’est pas une mort unique ; mais, comme un gouffre, elle entraîne avec elle tout ce qui est près d’elle. C’est une roue énorme fixée au sommet de la plus haute montagne ; dans ses vastes rayons sont enchâssées et engagées dix mille menues pièces ; lorsqu’elle tombe, chaque petit accessoire, conséquence chétive, la suit dans sa bruyante ruine. Jamais ne vont seuls les soupirs du roi, mais toujours avec un gémissement public.

le roi. — Équipez-vous, je vous prie, pour ce pressant voyage ; car nous voulons mettre des entraves à cette crainte qui maintenant marche d’un pied trop libre.

rosencrantz et guildenstern. Nous allons nous hâter.

(Rosencrantz et Guildenstern sortent ; Polonius entre.)

polonius. — Mon seigneur, il se rend dans le cabinet de sa mère ; je me placerai derrière la tapisserie pour entendre la conversation. Je garantis qu’elle va le réprimander sans cérémonie ; mais, comme vous l’avez dit, et cela était très-sagement dit, il est à propos que quelque autre auditoire qu’une mère (puisque la nature rend les mères partiales) soit là pour constater leurs discours à l’occasion. Adieu, mon souverain, j’irai vous trouver avant que vous vous mettiez au lit, et vous dire ce que j’aurai su.

le roi. — Merci, mon cher seigneur. (Polonius sort.) Oh ! mon crime est sauvage ; son odeur impure va jusqu’au ciel. Il porte avec lui la première, la plus an-