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ACTE III, SCÈNE II.

hamlet. — Madame, comment vous plaît cette pièce ?

la reine. — La reine fait trop de protestations, ce me semble.

hamlet. — Oh ! mais elle tiendra sa parole.

le roi. — Connaissez-vous le sujet de la pièce ? N’y a-t-il rien qui puisse blesser ?

hamlet. — Non, non ils ne font que rire ; ils empoisonnent pour rire ; il n’y a rien au monde de blessant.

le roi. — Comment appelez-vous la pièce ?

hamlet. — La Souricière. Et pourquoi cela, direz-vous ? Par métaphore. Cette pièce est la représentation d’un meurtre commis à Vienne. Le duc s’appelle Gonzague, et sa femme Baptista. Vous verrez tout à l’heure. C’est un chef-d’œuvre de scélératesse ; mais qu’importe ? Votre Majesté, et nous, qui avons la conscience libre, cela ne nous touche en rien. Que la haridelle écorchée rue, si le bât la blesse : notre garrot n’est pas entamé. (Lucianus entre.) Celui-là est un certain Lucianus, neveu du roi.

ophélia. — Vous êtes d’aussi bon secours que le Chœur, mon seigneur.

hamlet. — Je pourrais dire le dialogue entre vous et votre amant, si je voyais jouer les marionnettes.

ophélia. — Vous êtes piquant, mon seigneur, vous êtes piquant.

hamlet. — Il ne vous en coûterait qu’un soupir, et la pointe serait émoussée.

ophélia. — De mieux en mieux, mais de pis en pis.

hamlet. — Oui, comme vous vous méprenez quand vous prenez vos maris ! Commence donc, assassin ! Cesse tes maudites grimaces, et commence. Allons ! Le corbeau croassant hurle pour avoir sa vengeance !

lucianus. —

Noire pensée, bras dispos, drogue appropriée, moment favorable, occasion complice ! Nulle autre créature qui voie ! Ô toi, mélange violent d’herbes sauvages recueillies à minuit, trois fois flétries, trois fois infectées par l’imprécation d’Hécate, que ta nature magique et ta cruelle puissance envahissent sans retard la vie encore saine !
(Il verse du poison dans l’oreille du roi endormi.)