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ACTE III, SCÈNE I.

tous de fieffés coquins, ne crois aucun de nous. Va-t’en droit ton chemin jusqu’à un cloître. Où est votre père ?

ophélia. — À la maison, mon seigneur.

hamlet. — Qu’on ferme la porte sur lui, afin qu’il ne puisse pas jouer le rôle d’un sot ailleurs qu’en sa propre maison. Adieu !

ophélia. — Oh ! secourez-le, cieux cléments !

hamlet. — Si tu te maries, je te donnerai pour dot cette malédiction : sois aussi chaste que la glace, aussi pure que la neige, tu n’échapperas pas à la calomnie. Va-t’en dans un cloître ; adieu ! Ou si tu veux à toute force te marier, épouse un sot ; car les hommes sages savent bien quels monstres vous faites d’eux. Au cloître, allons, et au plus vite ! Adieu.

ophélia. — Ô puissances célestes, guérissez-le !

hamlet. — J’ai aussi entendu parler de vos peintures, bien à ma suffisance. Dieu vous a donné un visage, et vous vous en faites vous-mêmes un autre. Vous dansez, vous trottez, vous chuchotez, vous débaptisez les créatures de Dieu, et vous mettez votre frivolité sur le compte de votre ignorance. Allez, je ne veux plus de cela ; c’est cela qui m’a rendu fou. Je vous le dis, nous ne ferons plus de mariage ; ceux qui sont mariés déjà vivront ainsi, tous, excepté un ; les autres resteront comme ils sont. Au cloître ! Allez.

(Hamlet sort.)

ophélia. — Oh ! quel noble esprit est là en ruines ! Courtisan, soldat, savant, le regard, la langue, l’épée ! L’attente et la fleur de ce beau royaume, le miroir de la mode et le moule des bonnes formes, le seul observé de tous les observateurs, tout à fait, tout à fait à bas ! Et moi,

    ment de tristesse et la même rapide image, une ressemblance de hardiesse familière dans l’expression, entre Shakspeare et Chateaubriand, n’est-ce pas un fait tout naturel et comme un hasard qu’on devait prévoir ? Ainsi M. de Chateaubriand, peu d’années avant sa mort (10 août 1840), écrivait à madame Récamier : « Si ce n’était votre belle et chère personne, je m’en voudrais d’avoir traînassé si longtemps sous le soleil. » (Souvenirs de madame Récamier, tome II, p. 499.)