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HAMLET.

rosencrantz. — Oui, mon seigneur, ils emportent tout, Hercule et son fardeau avec lui [1].

hamlet. — Ce n’est pas fort étrange, car mon oncle est roi de Danemark ; et ceux qui, du vivant de mon père, lui auraient fait la moue, donnent maintenant vingt, quarante, cinquante, cent ducats par tête pour avoir son portrait en miniature. Par la sambleu ! il y a là quelque chose qui est plus que naturel ; si la philosophie pouvait le découvrir !

(On entend une fanfare de trompette derrière le théâtre.)

guildenstern. — Ce sont les comédiens.

hamlet. — Messieurs, vous êtes les bienvenus à Elseneur. Vos mains. Approchez : la marque ordinaire d’un bon accueil, ce sont les compliments et les cérémonies ; permettez que je vous traite de cette façon, de peur que mes manières, en recevant les comédiens, à qui je dois, je vous en préviens, montrer beaucoup d’égards, ne paraissent plus polies qu’envers vous. Vous êtes les bienvenus ; mais cet oncle qui est mon père, et cette tante qui est ma mère, sont abusés.

  1. Tout ce passage n’est qu’un tissu d’allusions à l’histoire des divers théâtres qui s’étaient établis peu avant la représentation de Hamlet, et où les enfants de chœur de l’église de Saint-Paul et de la chapelle royale d’Élisabeth faisaient concurrence à la troupe de Shakspeare. Ce n’est pas seulement de leur concurrence que Shakspeare se plaint, mais aussi des abus et des désordres qui s’étaient introduits sur la scène avec les nouveaux acteurs. Les attaques personnelles y avaient pris toute licence. On voit dans l’Apologie des acteurs, par Heywood, publiée en 1612, « que l’État, la cour, la loi, la cité et leurs gouvernements » n’étaient aucunement épargnés et que certains auteurs « mettaient leurs amères invectives dans les bouches enfantines, comptant que la jeunesse des comédiens aurait le privilège de faire passer ces particularités violentes contre les humeurs diverses d’hommes privés et vivants, nobles ou autres. » Mais le succès fit bientôt scandale ; une partie du public se dégoûta et s’éloigna ; les représentations des enfants furent interdites de 1591 à 1600, et les autres troupes souffrirent tour à tour de la vogue et du décri de leurs jeunes rivaux, des règlements sévères auxquels ils donnèrent lieu et de leur retour sur la scène. Le théâtre de Shakspeare était le théâtre du Globe et avait pour enseigne Hercule portant le monde.