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ACTE II, SCÈNE II.

rosencrantz. — Ceux-là même que vous aviez coutume de voir avec plaisir, les tragédiens de la Cité.

hamlet. — Et par quel hasard sont-ils devenus ambulants ? Leur résidence fixe, autant pour la réputation que pour le profit, valait mieux à tous égards.

rosencrantz. — Je pense que leur empêchement vient de la récente innovation.

hamlet. — Se maintiennent-ils dans la même estime que lorsque j’étais en ville ? Sont-ils aussi suivis ?

rosencrantz. — Non, en vérité, ils ne le sont pas.

hamlet. — D’où vient cela ? Est-ce qu’ils se rouillent ?

rosencrantz. — Non, leurs efforts n’ont rien perdu de leur allure accoutumée. Mais il y a, monsieur, une nichée d’enfants, de fauconneaux à la brochette, qui piaillent à force tout au haut du dialogue, et sont claqués à outrance pour cela ; ils sont aujourd’hui à la mode, et ils ont tant décrié le théâtre ordinaire (c’est ainsi qu’ils l’appellent) que beaucoup de gens portant l’épée ont peur des plumes d’oie et n’osent presque plus y venir.

hamlet. — Comment, sont-ce des enfants ? Qui les entretient ? Comment est réglé leur écot ? Poursuivront-ils cette profession aussi longtemps seulement qu’ils pourront chanter ? Ne diront-ils point, par la suite, s’ils arrivent eux-mêmes à être comédiens ordinaires (ainsi que cela est vraisemblable, s’ils n’ont rien de mieux à faire), que les auteurs de leur troupe leur ont fait tort, en les faisant d’avance déclamer contre leur futur héritage ?

rosencrantz. — Ma foi ! il y a eu beaucoup à faire de part et d’autre, et la nation estime que ce n’est pas un péché de les exciter à la dispute. Il n’y a eu pendant un temps point d’argent à gagner avec une pièce, à moins que le poëte et le comédien n’en vinssent à se gourmer avec leurs rivaux en plein dialogue.

hamlet. — Est-il possible ?

guildenstern. — Oh il y a eu déjà beaucoup d’effusion de cervelles.

hamlet. — Sont-ce les enfants qui l’emportent ?