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ACTE I, SCÈNE IV.

longe plus longue que ne saurait être la vôtre. Bref, Ophélia, ne croyez pas à ses serments ; ce sont des enjôleurs, ils n’ont pas la couleur dont ils sont revêtus en dehors ; ce ne sont rien qu’entremetteurs de projets fort profanes, qui ne semblent respirer que saintes et dévotes instances, afin de mieux tromper. Une fois pour toutes, et pour parler clairement, je ne veux pas que désormais vous fassiez mauvais usage de votre loisir en parlant au seigneur Hamlet, ou en l’écoutant ; prenez-y garde, entendez-vous, et passez votre chemin.

ophélia. — J’obéirai, mon seigneur.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

La plate-forme.
HAMLET, HORATIO et MARCELLUS entrent.

hamlet. — L’air est subtil et mordant ; il fait très-froid.

horatio. — Oui, c’est un air aigre et qui pique.

hamlet. — Quelle heure est-il à présent ?

horatio. — Peu s’en faut, je crois, qu’il ne soit minuit.

marcellus. — Non, il est sonné.

horatio. — Vraiment ? je ne l’ai pas entendu. Alors, le moment approche, où l’esprit a l’habitude de se promener. (On entend dans le palais une fanfare de trompettes et des décharges d’artillerie.) Qu’est-ce que cela signifie, mon seigneur ?

hamlet. — Le roi passe la nuit et boit à toute sa soif ; il tient séance d’orgie et danse en chancelant la gigue impudente, et à chaque fois qu’il avale ses rasades de vin du Rhin, la timbale et la trompette se mettent à braire ainsi pour le triomphe des santés qu’il porte.

horatio. — Est-ce la coutume ?

hamlet. — Oui, ma foi ! c’est la coutume. Mais selon mon sentiment, encore que je sois enfant de ce pays et né pour en prendre les manières, c’est une coutume qu’il est plus honorable d’enfreindre que d’observer. Ces divertissements qui appesantissent les têtes nous font,