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ACTE I, SCÈNE III.

aucune pensée non calculée son exécution. Sois familier, mais jamais banal. Les amis que tu auras, et dont le choix sera éprouvé, attache-les à ton âme par des crampons d’acier ; mais n’use pas la paume de ta main à fêter tout camarade éclos d’hier et encore sans plumes. Garde-toi d’entamer une querelle ; mais une fois engagé, comporte-toi de manière que l’adversaire prenne garde à toi. Prête l’oreille à tous, mais ne livre tes paroles qu’à peu de gens. Recueille l’opinion de chacun, mais réserve ton jugement. Que tes habits soient aussi coûteux que ta bourse le permet, sans recherches singulières ; riches, sans être voyants ; car l’ajustement révèle souvent l’homme ; et les gens les plus relevés en France par leur rang et par leur position sont, surtout en cela, des modèles de goût et de dignité. Ne sois ni emprunteur, ni prêteur, car le prêt fait souvent perdre et l’argent et l’ami, et l’emprunt émousse le tranchant de l’économie. Ceci par-dessus tout : sois vrai envers toi-même ; et, comme la nuit suit le jour, ceci doit s’en suivre que tu ne pourras être faux envers personne. » Adieu ! que ma bénédiction fasse pénétrer tout cela en toi.

laërtes. — Je prends humblement congé de vous, mon seigneur.

polonius. — L’heure vous réclame. Allez, vos serviteurs vous attendent.

laërtes. — Adieu, Ophélia, et souvenez-vous bien de ce que je vous ai dit.

ophélia. — Cela est enfermé en ma mémoire, et vous en garderez vous-même la clef.

laërtes. — Adieu !

(Laërtes sort.)

polonius. — Qu’est-ce, Ophélia ? que vous a-t-il dit ?

ophélia. — C’est, ne vous en déplaise, quelque chose touchant le seigneur Hamlet.

polonius. — Certes, c’est fort à propos. On m’a dit que depuis peu il vous avait très-souvent consacré ses moments de loisir intime, et que vous-même aviez été très-libérale et prodigue de vos audiences ; s’il en est ainsi