Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/159

Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
ACTE I, SCÈNE III.

à vous. Adieu ! (Horatio, Marcellus et Bernardo sortent.) — L’âme de mon père tout armée ! tout ne va pas bien. Je soupçonne quelque mauvais mystère. Oh ! je voudrais que la nuit fût venue ! Jusque-là, sois calme, mon âme ! Les mauvaises actions, quand la terre entière pèserait sur elles, surgiront aux yeux des hommes.

(Il sort.)

SCÈNE III

Un appartement dans la maison de Polonius.
LAËRTES et OPHÉLIA entrent.

laërtes. — Mes bagages sont embarqués ; adieu ! Et maintenant, sœur, quand les vents en offriront l’occasion et qu’un convoi nous viendra en aide, ne vous endormez pas, mais donnez-moi de vos nouvelles.

ophélia. — Pouvez-vous en douter ?

laërtes. — Quant à Hamlet, et au badinage de ses gracieusetés, regardez cela comme une fantaisie de mode et un jeu auquel son sang s’amuse, — comme une violette née en la jeunesse de la nature qui s’éveille, — hâtive, mais passagère, suave, mais sans durée ; le parfum et la distraction d’une minute, rien de plus.

ophélia. — Quoi ! rien de plus ?

laërtes. — Non, croyez-moi, rien de plus ; car la nature, dans son progrès, ne développe pas seulement les muscles et la masse du corps, mais à mesure que s’agrandit ce temple, s’étendent aussi largement, pour la pensée et pour l’âme, les charges de leur dignité intérieure. Peut-être vous aime-t-il maintenant ; peut-être aucune souillure, aucune fraude n’altèrent maintenant la vertu de ses volontés ; mais vous devez craindre, en pesant sa grandeur, que ses volontés ne lui appartiennent pas. Il est lui-même sujet de sa naissance ; il ne lui est pas possible, comme aux gens qui ne comptent pas, de se tailler à lui-même sa destinée, car de son choix dépendent le salut et la santé de tout l’État ; et c’est pourquoi son choix doit être restreint à ce que demande