Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
SUR SHAKSPEARE.

Arrêté sans doute par ces conditions dont la sévérité ne se révélera qu’au talent qui saura les remplir, l’art dramatique, en Angleterre même, où, sous la protection de Shakspeare, il aurait la liberté de tout entreprendre, ose à peine aujourd’hui s’essayer timidement à le suivre. Cependant l’Angleterre, la France, l’Europe entière demandent au théâtre des plaisirs et des émotions que ne peut plus donner la représentation inanimée d’un monde qui n’est plus. Le système classique est né de la vie et des mœurs de son temps ; ce temps est passé : son image subsiste brillante dans ses œuvres, mais ne peut plus se reproduire. Près des monuments des siècles écoulés, commencent maintenant à s’élever les monuments d’un autre âge. Quelle en sera la forme ? je l’ignore ; mais le terrain où peuvent s’asseoir leurs fondements se laisse déjà découvrir. Ce terrain n’est pas celui de Corneille et de Racine ; ce n’est pas celui de Shakspeare ; c’est le nôtre ; mais le système de Shakspeare peut fournir, ce me semble, les plans d’après lesquels le génie doit maintenant travailler. Seul, ce système embrasse toutes ces conditions sociales, tous ces sentiments, généraux ou divers, dont le rapprochement et l’activité simultanée forment aujourd’hui pour nous le spectacle des choses humaines. Témoins depuis trente ans des plus grandes révolutions de la société, nous ne resserrons plus volontiers le mouvement de notre esprit dans l’espace étroit de quelque événement de famille, ou dans les agitations d’une passion purement individuelle. La nature et la destinée de l’homme nous ont apparu sous les traits les plus énergiques comme les plus simples, dans toute leur étendue comme avec toute leur mobilité. Il nous faut des tableaux où se renouvelle ce spectacle, où l’homme tout entier se montre et provoque toute notre sympathie. Les dispositions morales qui imposent à la poésie cette nécessité ne changeront point ; on les verra au contraire se manifester et se développer de jour en jour. Des intérêts des devoirs, un mouvement communs à