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ÉTUDE

aucun de ces sentiments particuliers ne détourne à son profit nos impressions ; elles se reportent sans cesse, et toujours plus vives, vers l’auteur de tant de crimes ; et ainsi Richard, centre d’action, est en même temps centre d’intérêt ; car l’intérêt dramatique n’est pas seulement l’inquiète pitié que nous ressentons pour le malheur, ou cette affection passionnée que nous inspire la vertu ; c’est aussi la haine, le désir de la vengeance, le besoin de la justice du ciel sur le coupable, comme celui du salut de l’innocent. Tous les sentiments forts, capables d’exalter l’âme humaine, peuvent nous entraîner à leur suite et nous saisir d’un intérêt passionné ; ils n’ont pas besoin de nous promettre le bonheur, ou de nous attacher par la tendresse ; nous pouvons aussi nous élever à ce sublime mépris de la vie qui fait les héros et les martyrs, et à cette noble indignation sous laquelle succombent les tyrans.

Tout peut rentrer dans une action ainsi ramenée à un centre unique d’où émanent et auquel se rapportent tous les événements du drame, toutes les impressions du spectateur. Tout ce qui émeut l’âme de l’homme, tout ce qui agite sa vie peut concourir à l’intérêt dramatique, pourvu que, dirigés vers un même point, marqués d’une même empreinte, les faits les plus divers ne se présentent que comme les satellites du fait principal dont ils augmentent l’éclat et le pouvoir. Rien ne paraîtra trivial, insignifiant ou puéril, si la situation dominante en devient plus vive ou le sentiment général plus profond. La douleur redouble quelquefois par le spectacle de la gaieté ; au milieu du danger une plaisanterie peut exalter le courage. Rien n’est étranger à l’impression que ce qui la détruit ; elle s’alimente et s’accroît de tout ce qui peut s’y confondre. Le babil du jeune Arthur avec Hubert devient déchirant par l’idée de l’horrible barbarie qu’Hubert se prépare à exercer sur lui. C’est un spectacle plein d’émotion que celui de lady Macduff tendrement amusée des saillies de l’esprit naissant de