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ÉTUDE

salle si quelqu’un ne s’en effrayait sur le théâtre ; et pour l’effet dramatique du somnambulisme de lady Macbeth, Shakspeare a eu soin d’en rendre témoins un médecin et une femme de chambre, chargés de nous transmettre les terribles impressions qu’ils en reçoivent.

Ainsi l’homme seul occupe la scène ; son existence s’y déploie animée, agrandie par les événements qui s’y rapportent, et qui doivent à ce rapport seul leur caractère théâtral. Dans la comédie, plus petits que la passion qu’ils excitent dans l’homme, les événements empruntent de cette passion une importance risible ; dans la tragédie, plus puissants que les moyens dont l’homme dispose, ils nous émeuvent du spectacle de sa grandeur et de sa faiblesse. Le poëte comique les invente librement, car son art est de faire naître, de l’homme même et de ses travers, les événements dont l’homme s’agite. Cette invention est rarement un mérite pour le poëte tragique, car son œuvre est de démêler et de faire éclater l’homme et son âme au milieu des événements qu’il subit. S’il faut en général que le fond de la tragédie soit pris dans l’histoire des grands et des puissants, c’est que les impressions fortes dont elle veut nous saisir ne peuvent guère nous être communiquées que par des caractères forts, incapables de succomber sous les coups d’une destinée ordinaire. C’est dans le développement de la haute fortune et de ses terribles vicissitudes que paraît l’homme tout entier, avec la richesse et dans l’énergie de sa nature. Ainsi concentré dans l’individu, le spectacle du monde se révèle à nous sur la scène du théâtre ; ainsi, à travers l’âme qui en reçoit l’impression, les événements nous atteignent par la sympathie, source de l’illusion dramatique.

Si l’illusion matérielle était le but des arts, les figures de cire de Curtius surpasseraient toutes les statues de l’antiquité, et un panorama serait le dernier effort de la peinture. S’il s’agissait d’en imposer à la raison et d’im-