Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
SUR SHAKSPEARE.

Les impressions de l’homme communiquées à l’homme, telle est en effet l’unique source des effets dramatiques. L’homme seul est le sujet du drame ; l’homme seul en est le théâtre. Son âme est la scène où viennent jouer leur rôle les événements de ce monde ; ce n’est point par leur propre vertu, c’est uniquement par leurs rapports avec l’être moral dont la destinée nous occupe, que les événements prennent part à l’action ; tout caractère dramatique les abandonne des qu’ils prétendent à exercer sur nous une influence directe, au lieu d’agir par l’intermédiaire d’un personnage sensible, et par l’émotion que nous recevons, à notre tour, de l’émotion qu’ils ont excitée en lui. Pourquoi le récit de Théramène est-il épique et non dramatique ? C’est qu’il s’adresse au spectateur et non à Thésée : Thésée, déjà instruit que son fils est mort, n’est plus capable de se prêter aux impressions du récit. Si, encore incertain, il ne devait arriver à la connaissance de son malheur qu’à travers les angoisses d’une telle relation, les ornements poétiques dont elle est peut-être surchargée n’empêcheraient pas qu’elle ne fût dramatique, car les impressions qu’elle produit seraient pour nous celles d’un personnage intéressé au résultat ; nous les sentirions dans le cœur de Thésée.

Dans le cœur seul de l’homme peut se passer le fait dramatique ; l’évènement qui en est l’occasion ne le constitue point. La mort de l’amant est rendue dramatique par la douleur de l’amante, le danger du fils par l’effroi de sa mère ; quelque horrible que soit l’idée du meurtre d’un enfant, c’est d’Andromaque seule que nous occupe Astyanax. Un tremblement de terre et les bouleversements physiques qui l’accompagnent ne fourniront qu’un spectacle pour les yeux ou le sujet d’un récit épique ; mais la pluie est dramatique sur la tête chauve du vieux Lear, et surtout dans le cœur de ses compagnons, déchiré de la pitié qu’il leur inspire l’apparition d’un spectre ne ferait rien à personne dans la