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SUR SHAKSPEARE.

Plusieurs causes contribuèrent à prolonger pour Shakspeare cet intervalle de froideur et presque d’oubli.

Les guerres civiles et le triomphe du puritanisme vinrent d’abord, non-seulement interrompre toute représentation dramatique, mais détruire, autant qu’il se pouvait, la trace de tout amusement de ce genre. La Restauration amena ensuite en Angleterre un goût étranger, que ne partageait pas toute la nation, mais qui dominait avec la cour. La littérature anglaise prit alors un caractère que n’effaça point, en 1688, une révolution nouvelle ; et les idées françaises, mises en honneur par la gloire littéraire du xviie siècle, soutenues par celle du xviiie, conservèrent en Angleterre une influence de jeunesse qu’avait perdue la vieille gloire de Shakspeare. Cinquante ans après sa mort, Dryden avait déjà déclaré son idiome un peu « hors d’usage. » Au commencement du xviiie siècle, lord Shaftesbury se plaint de son style « grossier et barbare, de ses tournures et de son esprit tout à fait passé de mode ; » et Shakspeare fut alors, par cette raison, rejeté de plusieurs collections de poètes modernes. En effet Dryden ne comprenait déjà plus Shakspeare, grammaticalement parlant : on a plusieurs preuves de ce fait, et Dryden a prouvé lui-même, en refaisant ses pièces, que poétiquement il ne le comprenait pas davantage. Non-seulement Shakspeare n’était pas compris, bientôt même il ne fut plus connu. En 1707, un poëte nommé Tate donna comme son ouvrage un Roi Lear, dont il a, dit-il, tiré le fond d’une pièce de même nom, qu’un de ses amis l’a engagé à lire comme intéressante. Cette pièce est le Roi Lear de Shakspeare.

Cependant les écrivains distingués n’avaient pas tout à fait cessé d’accorder à Shakspeare une part dans la gloire littéraire de leur pays ; mais c’était timidement et par degrés qu’ils soulevaient le joug des préventions de leur temps. Si, de concert avec Davenant, Dryden avait refait les ouvrages de Shakspeare, Pope, dans l’édition qu’il en donna en 1725, se contente d’en retrancher