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en dedans, ne
sois plus riche en dehors ; tu te nourriras ainsi aux dépens de la mort,
qui se nourrit aux dépens des hommes, et la mort, une fois morte, il n’y

aura plus à mourir.



Sonnets
CXLVII
Mon amour est comme une fièvre, qui désire ardemment ce qui entretient

plus longtemps la maladie ; il se nourrit de ce qui fait durer le mal,
pour complaire à son appétit inégal et maladif. Ma raison, qui est le
médecin de mon amour, furieuse qu’on n’observe pas ses prescriptions,
m’a abandonné, et dans mon désespoir je veux un bien qui est la mort, et
que la médecine avait défendu. Je ne puis plus guérir, la raison n’y
peut rien, et ma folie a franchi toutes les bornes ; mes pensées et mes
discours sont ceux d’un insensé, ils s’écartent follement de la vérité,
car j’ai juré que tu étais blanche, et j’ai cru que tu étais
resplendissante, toi qui es aussi noire que l’enfer, et aussi obscure

que la nuit.


Sonnets
CXLVIII
Hélas ! Quels yeux l’amour a mis dans ma tête, ils n’ont aucun rapport

avec des yeux véritables ! Ou bien, s’ils en ont, où s’est donc enfui mon
jugement qui censure faussement ce que mes yeux voient vraiment ? Si
l’objet qui charme mes yeux menteurs est beau, pourquoi donc le monde
soutient-il le contraire ? Si cet objet n’est pas beau, l’amour prouve
bien alors que l’œil de l’Amour ne voit pas aussi juste que celui des
autres hommes. Oh ! non, et comment cela se pourrait-il ? Comment l’œil
de l’Amour pourrait-il bien voir, lui qui est tellement lassé de veilles
et de larmes ? Il n’y a donc rien de surprenant à ce que mes yeux
commettent des erreurs ; le soleil lui-même ne voit pas, tant que le ciel
ne s’est pas éclairci. O toi, Amour rusé ! tu cherches à m’aveugler par
des larmes, de peur que des yeux clairvoyants ne puissent découvrir tes

vilains défauts.


Peux-tu dire, ô cruelle, que je ne t’aime pas, lorsque je prends parti

avec toi contre moi-même ? Est-ce que je ne pense