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bien croire des calomnies
insensées. Afin que cela ne m’arrive pas, et que tu ne sois pas trahie,
regarde devant toi, lors même que ton cœur orgueilleux se répandrait au

loin.


A vrai dire, je ne t’aime pas avec mes yeux, car ils remarquent en toi

une foule d’erreurs ; mais c’est mon cœur qui aime ce qu’ils méprisent,
et qui se laisse charmer en dépit d’eux. Mes oreilles ne sont pas non
plus charmées du son de ta voix : le tendre toucher, facile à s’émouvoir
ni le goût, ni l’odorat ne m’inspirent le désir de trouver en toi seule
mon plaisir ; mais ni mes cinq facultés, ni mes cinq sens ne peuvent
dissuader mon faible cœur de te servir, et j’abandonne la figure d’un
homme pour être l’esclave et le malheureux vassal de ton coeur
orgueilleux. Mais mon fléau devient mon profit, puisque celle qui me

fait pécher est aussi celle qui me fait souffrir.


L’amour est mon péché, et ta chère vertu, c’est la haine, la haine de

mon péché, fondée sur un amour criminel. Oh ! compare seulement ton état
avec le mien, et tu verras qu’il ne mérite pas de reproches ; ou s’il en
mérite, qu’ils ne sortent pas de tes lèvres ; elles ont profané leurs
ornements vermeils, et scellé des promesses mensongères aussi souvent
que les miennes, elles ont aussi souvent dérobé le bien d’autrui. Qu’il
me soit permis de t’aimer, comme tu aimes ceux que tes yeux appellent
autant que les miens t’importunent. Fais naître la pitié dans ton cœur,
afin que, lorsqu’elle y croîtra, ta pitié puisse mériter d’inspirer la
pitié. Si tu cherches à avoir ce que tu caches, puisses-tu être

contredite par ton propre exemple.


Sonnets
CXLIII
De même qu’une bonne ménagère qui a perdu une bête de la gent emplumée

se met à courir pour la rattraper, et met par terre son enfant, pour
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courir à toutes jambes après l’animal qu’elle aurait voulu conserver,
tandis que son enfant négligé s’élance après elle, et pleure en voulant
attraper celle qui ne songe qu’à poursuivre l’objet qui fuit devant
elle, sans se soucier du chagrin de son pauvre enfant ; de même tu cours
après ce qui t’échappe, tandis que moi, ton pauvre enfant, je