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passé, elle n’est
qu’une souffrance ; d’avance, on la regarde comme une joie future, mais
après, ce n’est plus qu’un rêve : tout le monde sait cela ; et cependant
personne ne sait comment éviter le ciel qui conduit les hommes dans cet

enfer.


Les yeux de ma maîtresse ne sont rien auprès du soleil, le corail est

bien plus vermeil que ne sont ses lèvres ; si la neige est blanche, ses
seins sont noirs ; si les cheveux sont en fil de fer, elle a sur la tête
des fils de fer noir. J’ai vu des roses panachées, blanches et rouges,
mais je ne vois pas sur ses joues de semblables roses, et il y a des
parfums encore plus charmants que le souffle qui s’exhale des lèvres de
ma maîtresse. J’aime à l’entendre parler, et cependant je sais bien que
la musique a un son bien plus agréable ; j’avoue que je n’ai jamais vu
marcher une déesse ; ma maîtresse, quand elle marche, foule le sol ; et
cependant, de par le ciel, je crois que mon amie est aussi précieuse que

toutes celles qu’on accable de comparaisons menteuses.


Tu es aussi tyrannique, telle que tu es, que celles dont les charmes les

rendent fièrement cruelles. Car tu sais bien que pour mon cœur tendre
et fidèle tu es le plus beau et le plus précieux des bijoux. Cependant,
de bonne foi, il en est qui disent que ton visage n’est pas de nature à
faire gémir l’amour. Je n’ose pas dire qu’ils se trompent, quoique je me
le jure à moi-même dans la solitude. Et pour être sûr que je n’ai pas
tort de le jurer, je gémis mille fois, mais en pensant à ton visage,
quand je me repose sur ton sein, je déclare qu’à mon avis ton teint brun
est plus blanc que tout au monde. Tu n’as de noir que tes actions, et

c’est là, je pense, ce qui fait naître ces calomnies.


Sonnets
CXXXII
J’aime tes yeux, et ceux qui connaissent ton cœur me tourmentent de

leur dédain, en faisant semblant de me plaindre : ils se sont vêtus de
noir, et ils pleurent tendrement en contemplant ma douleur avec une
charmante cruauté. Véritablement le soleil du matin qui brille dans le
ciel ne pare pas même les joues grises de l’orient, et l’étoile qui se
montre le soir, n’orne pas plus le sombre occident que ces deux yeux en