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apercevoir. Sache
faire usage, mon cher cœur, de cet immense privilége ; le couteau le

mieux affilé s’émousse lorsqu’on ne sait pas s’en servir.


Les uns disent que ton défaut, c’est la jeunesse, les autres que c’est

le libertinage ; d’autres disent que ton charme, c’est la jeunesse, et la
douce gaieté ; tous aiment plus ou moins ta grâce et tes défauts ; tu
changes en grâces les défauts qui t’appartiennent. De même que sur le
doigt d’une reine assise sur son trône, on trouve du prix au bijou le
moins précieux ; de même les erreurs qui sont tiennes se transforment en
vérités, et passent pour des choses vraies. Combien d’agneaux le loup
cruel pourrait séduire, s’il pouvait prendre l’apparence d’un agneau !
Combien tu pourrais entraîner de ceux qui te contemplent, si tu voulais
user de tout ton pouvoir ! Mais n’en fais rien ; je t’aime de telle sorte,

qu’étant à moi, ta bonne renommée est mienne !


Ah ! que mon absence loin de toi, charme de l’année qui s’écoule, a

ressemblé à un hiver ! Quel frimas j’ai ressenti ! Combien j’ai vu de
jours sombres ! Partout la nudité du vieux décembre ! Et pourtant, ces
jours où j’étais loin de toi étaient des jours d’été ; l’automne
enfantait, pleine de riches trésors portant le pesant fardeau du
printemps, comme le sein d’une veuve après la mort de son époux. Et
cependant cette abondante postérité ne m’apparaissait que comme une
espérance d’orphelins, et un fruit sans père ; mais l’été et ses plaisirs
t’accompagnent ; si tu t’éloignes, les oiseaux eux-mêmes sont muets ; ou,
s’ils chantent, c’est avec un accent si triste, que les femelles

pâlissent et redoutent l’approche de l’hiver.


Sonnets
XCVIII
J’ai été loin de vous au printemps, lorsqu’Avril à l’orgueilleux

bariolage, revêtu de tous ses atours, répandait sur toute chose un bel
esprit de jeunesse, que le pesant Saturne riait et sautait avec lui. Et
cependant ni le chant des oiseaux, ni le doux parfum des fleurs à
l’odeur et aux nuances variées, n’ont pu me faire chanter un refrain
d’été, ni les cueillir du fier sein où elles croissaient. Je n’ai pas
admiré la blancheur des