Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/449

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hâter quand je te
quitte ? jusqu’à mon retour il n’est pas besoin de courir la poste. Mais
quelle excuse trouvera alors la pauvre bête, lorsque l’extrême vitesse
me semblera pesante ? C’est alors que je jouerai des éperons, fussé-je
monté sur le vent ; je ne m’apercevrai pas du mouvement en volant comme
si j’avais des ailes ; c’est alors que nul cheval ne pourra tenir tête à
mes désirs, et le désir né d’un amour parfait et non d’une chair pesante
hennira dans sa course furieuse ; mais par amour, l’amour aura compassion
de ma pauvre haridelle, puisqu’elle s’est entêtée à marcher lentement
quand je m’éloignai de toi, je courrai vers toi et je la laisserai libre

de s’en retourner.


Je suis donc comme le riche qu’une bienheureuse clef amène devant les

trésors précieux qu’il enferme, ne voulant pas les contempler à toute
heure, de peur d’émousser la fine pointe d’un plaisir rare. Voilà
pourquoi les fêtes sont si précieuses et si solennelles, c’est qu’elles
viennent à de longs intervalles, enchâssées dans la longue année,
placées à de longues distances comme des pierres précieuses ou comme les
joyaux les plus rares dans un collier. C’est ainsi que le temps vous
garde comme un coffre, ou comme une armoire cachée derrière un rideau,
pour rendre un certain instant spécialement heureux en dévoilant de
nouveau le sujet caché de son orgueil. Béni soyez-vous, vous dont les
mérites donnent lieu de triompher quand on vous possède, de vous espérer

quand on est privé de votre présence.


Quelle est donc votre substance et de quoi êtes-vous fait pour attirer à

vous des millions d’ombres étrangères ? Chacun a une ombre qui lui
appartient, et vous, à vous seul, vous projetez toutes sortes d’ombres.
Diane ou Adonis, son portrait n’est qu’une mauvaise imitation du vôtre ;
revêt-on de tous les artifices de la beauté la joue d’Hélène, vous voilà
retracé de nouveau dans un costume grec ; parle-t-on printemps, ou du
temps où l’année foisonne, l’un paraît l’ombre de votre beauté, l’autre
semble parée des dons de votre libéralité, et nous vous reconnaissons
sous toutes ces formes adorables. Vous avez quelque part à toutes les
grâces extérieures, mais