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la nuit au
teint sombre en lui disant que lorsque les étoiles étincelantes ne
scintillent pas, tu dores la soirée, mais le jour allonge tous les jours
mes peines, et toutes les nuits la nuit me fait paraître plus pénible la

longueur de mes souffrances.


Dans ma disgrâce auprès de la fortune et aux yeux des hommes, lorsque je

déplore tout seul mon abandon, et que j’assiège de mes cris inutiles un
ciel qui m’est sourd, lorsque je me contemple, et que je maudis mon
sort, lorsqu’il m’arrive de souhaiter les riches espérances de l’un, les
traits de celui ci, les amis de celui-là, lorsque je désire l’habileté
de cet homme et la portée de cet autre, jouissant le moins possible de
ce que je possède le plus, tout en méprisant presque moi-même de
pareilles pensées, il m’arrive de songer à toi, et alors ma situation,
semblable à l’alouette qui s’élance au point du jour d’une terre morne,
va chanter des cantiques aux portes du ciel, car le doux souvenir de ton
amour m’apporte tant de richesse, que je dédaigne alors de changer de

place avec les rois.


Lorsque dans mes séances de réflexions silencieuses et douces je

rappelle le souvenir des choses passées, je soupire à la pensée des
choses que j’ai cherchées et que j’ai manquées, et je déplore de
nouveau, à propos des malheurs passés, le précieux temps que j’ai perdu.
C’est alors qu’il m’arrive de noyer des yeux qui ne sont pas habitués à
couler, au souvenir d’amis bien chers cachés dans la nuit éternelle de
la mort ; c’est alors que je pleure de nouveau les douleurs dès longtemps
effacées de l’affection, et que je déplore la disparition de tant de
choses évanouies. C’est alors que je puis regretter des chagrins passés
en énumérant lentement malheur après malheur dans la triste liste des
gémissements qui m’ont déjà arraché tant de larmes ; mais s’il m’arrive
de penser à toi, dans ce moment-là, chère amie, toutes mes pertes sont

réparées, tous mes chagrins sont finis.


Ton cœur m’est cher au nom de tous les cœurs qui m’ont manqué et que

j’ai crus morts ; là règnent l’amour et tous les tendres dons de l’amour,
et tous ces amis que je croyais enterrés.