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ment qu’il lui a fait, ou s’il a vu son visage, je sais alors que c’est en voulant le caresser qu’il l’a tué.

CLXXXVI. — C’est vrai, c’est vrai, c’est ainsi qu’Adonis a été tué. Il courait sur le sanglier avec sa lance acérée ; l’animal, n’eût point voulu le blesser de ses défenses, mais il voulait le désarmer par un baiser. C’est involontairement que l’animal amoureux a entr’ouvert ses flancs délicats et plongé ses défenses dans son sein.

CLXXXVII. — Si j’avais eu des dents comme lui, je dois avouer que je l’aurais déjà tué en l’embrassant ; mais il est mort, il n’a pas réjoui ma jeunesse de son amour. J’en suis bien plus malheureuse. » A ces mots elle tombe, et souille son visage avec le sang glacé d’Adonis.

CLXXXVIII. — Elle regarde ses lèvres, elles sont pâles ; elle lui prend la main, elle est froide ; elle murmure à son oreille un sombre récit comme s’il entendait ses tristes paroles. Elle soulève les paupières qui couvrent ses yeux, et voici : deux lampes éteintes y sont dans l’obscurité.

CLXXXIX. — Ce sont deux places où mille fois elle se vit elle-même, et qui ne réfléchissent plus ses traits ; elles ont perdu cette vertu où elles excellaient tout à l’heure et toutes les beautés d’Adonis ont perdu leur influence. « Merveille des temps ! dit-elle, je suis irritée qu’après ta mort le jour éclaire encore.

CXC. — Puisque tu n’es plus ! voici : Je prédis que désormais la douleur suivra partout l’amour, il sera escorté de la jalousie, trouvera les préludes pleins de douceur et la fin insipide. Jamais il ne sera bien d’accord ; il sera toujours trop fort ou trop faible, afin que tous ses plaisirs n’égalent jamais ses peines.

CXCI. — Il sera volage, perfide, trompeur il naîtra et il sera anéanti dans un instant ; il trouvera au fond du vase une lie empoisonnée, et les bords seuls enduits d’un miel qui trompera les plus habiles. Il fera perdre au plus robuste sa force ; il rendra le sage muet, et enseignera à l’imbécile l’art de parler.

CXCII. — Il sera économe et débauché, il apprendra à la vieillesse décrépite les mesures de la danse ; il calmera le scélérat étonné, ruinera le riche, enrichira le pauvre ; il sera fou à lier, tendre jusqu’à la faiblesse ; il vieillira le jeune homme, et ramènera la vieillesse à l’enfance.

CXCIII. — Il sera soupçonneux là où il n’aura aucun