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ne voulaient point lui permettre d’aller au dehors errer dans les vastes et vides espaces de l’air ; mais ils la retenaient dans mon sein haletant, prêt à se briser pour l’exhaler dans les ondes.

Brakenbury. ― Et vous ne vous êtes pas éveillé dans cette cruelle agonie ?

Clarence. ― Oh ! non : mon songe s’est prolongé au delà de ma vie ; et c’est alors qu’ont commencé les orages de mon âme. Il me sembla que, conduit par le sombre nocher dont nous parlent les poëtes, je passais le fleuve mélancolique, et j’entrais dans le royaume de l’éternelle nuit. La première ombre qui salua mon âme à son arrivée fut celle de mon illustre beau-père, le renommé Warwick, qui s’écria d’une voix forte : Quel supplice propre au parjure ce sombre royaume pourra-t-il fournir pour le perfide Clarence ? Et elle s’évanouit. Ensuite je vis s’approcher, errant çà et là, une ombre semblable à un ange ; sa brillante chevelure était trempée de sang, et elle cria fortement : Clarence est arrivé ! ― Le traître, l’inconstant, le parjure Clarence, qui m’a poignardé dans les champs de Tewksbury ! Saisissez-le, furies, livrez-le à vos tourments.― À ces mots, il m’a semblé qu’une légion de démons hideux m’environnait, hurlant à mes oreilles des cris si affreux qu’à ce bruit je me suis éveillé tremblant, et longtemps après je ne pouvais me persuader que je ne fusse pas en enfer, tant ce songe m’avait laissé une impression terrible !

Brakenbury. ― Je ne m’étonne pas, milord, qu’il vous ait épouvanté : il me semble que je le suis moi-même de vous l’avoir entendu raconter.

Clarence. ― Ô Brakenbury, toutes ces choses qui maintenant déposent contre mon âme, je les ai faites pour l’amour d’Édouard ; et tu vois comme il m’en récompense ! Ô Dieu, si mes prières élevées du fond du cœur ne te peuvent apaiser, et que tu veuilles être vengé de mes offenses, n’exécute que sur moi l’œuvre de ta colère. Oh ! épargne mon innocente femme et mes pauvres enfants ! ― Je te prie, cher gardien, demeure auprès de moi. Mon âme est appesantie, et je voudrais dormir.