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CXX. — Où en étais-je ? -- Peu m’importe, dit-il ; laissez-moi, et l’histoire finira fort à propos : la nuit se passe.--Eh bien ! qu’importe ! dit-elle.--Je suis attendu par mes amis, répond-il ; voilà qu’il fait obscur, et je tomberai en m’en allant.--Ah ! lui dit-elle, le désir ne voit jamais mieux que la nuit.

CXXI. — Mais si tu tombes, figure-toi que c’est la terre qui, amoureuse de toi, te fait trébucher rien que pour te dérober un baiser. De riches dépouilles rendent les honnêtes gens voleurs ; c’est ainsi que tes lèvres rendent la modeste Diane dédaigneuse et solitaire ; elle a peur d’être tentée de te voler un baiser et de mourir parjure.

CXXII. — Maintenant je devine la raison de cette nuit si sombre. Cynthie honteuse obscurcit son diadème d’argent, jusqu’à ce que la nature soit condamnée comme traître et faussaire pour avoir volé au ciel les moules divins dans lesquels elle t’a formé, en dépit des cieux, pour éclipser le soleil pendant le jour et Cynthie pendant la nuit.

CXXIII. — C’est pourquoi elle a séduit les Destinées pour détruire le rare chef-d’œuvre de la nature, en mêlant des infirmités à la beauté, et d’impurs défauts à la perfection pure, qu’elle a soumise à la tyrannie des cruels accidents et de toutes sortes de maux.

CXXIV. — Tels que la fièvre brûlante et ses pâles accès ; la peste qui empoisonne la vie ; la folie et son délire ; la maladie qui ronge la moelle des os, et qui corrompt le sang en l’échauffant ; enfin le dégoût, la douleur et le funeste désespoir ont juré la mort de la nature pour la punir de t’avoir fait si beau.

CXXV. — Et ce qui charme n’est pas la moindre de toutes ces maladies, c’est qu’un combat d’une minute détruise la beauté, le charme, le goût, le teint, la grâce : tout ce qu’admirait tout à l’heure un spectateur impartial est tout à coup perdu, fondu, anéanti, comme la neige disparaît sous le soleil de midi.

CXXVI. — Ainsi donc, en dépit de la stérile chasteté, des vestales sans amour et des nonnes égoïstes qui voudraient réduire la population de la terre et produire une disette de fils et de filles… sois prodigue. La lampe qui brûle pendant la nuit épuise son huile pour donner sa lumière au monde.

CXXVII. — Ton corps sera-t-il autre chose qu’un tombeau dévorant, s’il engloutit toute la postérité que d’après les droits du temps tu dois avoir, à moins que tu ne la détruises dans une sombre obscurité ? S’il en est ainsi, le monde te tiendra