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tout ce qu’il rencontre, et tous ceux qu’il frappe, ses cruelles défenses les tuent.

CV. — Ses flancs robustes, armés de rudes soies, sont à l’épreuve de la pointe de ta lance ; son cou épais et court est difficile à blesser ; dans sa fureur, il attaquerait le lion ; les broussailles et les arbustes épineux à travers lesquels il se précipite se séparent comme s’ils en avaient peur.

CVI. — Hélas ! il ferait peu de cas de ton visage, auquel les yeux de l’Amour payent un tribut de regards ; de ta douce main, de tes lèvres suaves, ou de tes yeux de cristal dont la perfection étonne le monde. Mais, s’il pouvait te surprendre, le cruel, ô triste pressentiment ! il détruirait tous tes charmes, comme il détruit une prairie.

CVII. — Oh ! laisse-le en paix dans sa dégoûtante tanière : la beauté n’a rien à faire avec de tels monstres ; ne t’expose pas volontairement à ce danger ! Ceux qui prospèrent prennent conseil de leurs amis. Quand tu as nommé le sanglier, à ne te rien cacher, j’ai tremblé pour toi, et tout mon corps a frémi.

CVIII. — N’as-tu pas remarqué mon visage ? N’ai-je point pâli ? n’as-tu pas vu les indices de la crainte dans mes yeux ? ne me suis-je pas évanouie ? ne suis-je point tombée ? Dans ce sein sur lequel tu es penché, mon cœur, troublé par de tristes pressentiments, palpite, s’agite, ne trouve point de repos ; il te soulève sur ma poitrine comme un tremblement de terre.

CIX. — Car là où règne l’amour, une jalouse inquiétude s’établit d’elle-même sa sentinelle, donne de fausses alarmes, dénonce la rébellion, et dans un temps de paix crie : Tue, tue ! Elle trouble le paisible amour par ses caprices, comme l’air et l’eau éteignent le feu.

CX. — Ce délateur chagrin, cet espion qui fomente les querelles, cette chenille qui dévore les tendres bourgeons de l’amour, cette jalousie rapporteuse, querelleuse, qui tantôt apporte des nouvelles vraies et tantôt des fausses, elle frappe à la porte de mon cœur et me dit à l’oreille que si je t’aime, je dois craindre ta mort.

CXI. — Bien plus, elle offre à mes regards le tableau d’un sanglier furieux ; sous ses défenses aiguës, je vois étendu sur le dos quelqu’un qui te ressemble, couvert de blessures, et dont le sang répandu sur les fleurs nouvelles les fait pencher de douleur et baisser la tête.

CXII. — Que ferais-je en te voyant dans cet état, puisque je tremble à cette image ? Cette pensée fait saigner mon faible