Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/339

Cette page n’a pas encore été corrigée

facultés ; les semences naissent des semences, la beauté enfante la beauté, tu fus engendré, ton devoir est d’engendrer à ton tour.

XXIX. — Pourquoi te nourrirais-tu des dons de la terre, si ce n’est pour nourrir la terre de tes dons ? par la loi de la nature, tu dois te multiplier dans des enfants qui vivront quand tu ne seras plus. C’est ainsi qu’en dépit de la mort tu survivras dans ceux qui porteront ta ressemblance. »

XXX. — Cependant la reine amoureuse commençait à être en nage, car l’ombre avait abandonné le lieu où ils reposaient ; et Titan, fatigué au milieu de sa course, les regardait d’un œil brûlant, souhaitant qu’Adonis dirigeât son char pourvu qu’il pût lui ressembler et se trouver près de Vénus.

XXXI. — Soudain d’un air insouciant et avec un regard sombre, boudeur et dédaigneux, voilant de ses sourcils froncés l’éclat de ses yeux, comme les vapeurs d’un brouillard obscurcissent le ciel, Adonis s’écrie d’un ton aigre : « Fi ! plus d’amour ! le soleil me brûle le visage, il faut que je m’en aille. »

XXXII. — Hélas ! dit Vénus : si jeune et si cruel ! quelle pauvre excuse tu me donnes pour t’échapper ! mon souffle céleste sera pour toi un zéphyr qui dissipera la chaleur du soleil qui darde sur nous. Je te ferai un abri de mes cheveux, et, s’ils brûlent aussi, je les éteindrai avec mes larmes.

XXXIII. — Le soleil qui brille dans le ciel n’est que brûlant, et moi, je suis entre le soleil et toi ! la chaleur qu’il donne ne m’incommode guère ; ce sont tes yeux dont le feu me consume : si je n’étais immortelle, ma vie se terminerait entre le soleil céleste et le soleil terrestre.

XXXIV. — Es-tu donc si rebelle, es-tu de pierre ou dur comme l’acier ? Ah ! tu es plus dur que la pierre, car la pierre s’amollit sous la pluie. Es-tu fils d’une femme, et peux-tu ne pas sentir ce qu’est l’amour ? combien l’absence d’amour fait souffrir ? Ah ! si ta mère avait eu un cœur si cruel, elle ne t’aurait pas enfanté, elle serait morte dans sa solitude.

XXXV. — Qui suis-je pour être ainsi méprisée par toi, ou quel grand danger y a-t-il dans mon amour ? quel mal ferait à tes lèvres un pauvre baiser ? Parle, mon bien-aimé ; mais ne dis rien que de tendre ou garde le silence. Donne-moi un baiser, je te le rendrai, et puis un autre pour les intérêts, si tu en veux deux.

XXXVI. — Fi donc, portrait sans vie, marbre froid et insensible, idole bien enluminée, image sourde et inanimée,