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HENRI VIII.

pour son lot ! Et quels flots de dépense semblent s’écouler continuellement à chaque heure de ses mains ! Par la fortune ! comment a-t-il pu amasser tout cela ? Ah ! c’est vous, milords. Avez-vous vu le cardinal ? NORFOLK. — Seigneur, nous étions là à l’observer : il y a quelque étrange commotion dans son cerveau ; il mord ses lèvres, tressaille ; puis il s’arrête tout à coup, regarde la terre, et ensuite porte son doigt à son front. Un moment après il se met à marcher précipitamment, puis s’arrête encore, se frappe violemment le sein, et aussitôt adresse ses regards à la lune : nous l’avons vu prendre les postures les plus étranges. LE ROI HENRI. — Cela pourrait être : il y a du trouble dans son âme. — Ce matin il m’a envoyé des papiers d’État que je lui avais demandés à lire. Et savez-vous ce que j’y ai trouvé ? Sur ma conscience, c’est bien par inadvertance qu’il l’y avait mis. J’y ai trouvé un état qui contenait le détail de son argenterie, de son trésor, des riches étoffes et ameublements de sa maison ; et je trouve que cela monte à un excès de faste qui passe de beaucoup les bornes de la fortune d’un sujet[1]. NORFOLK. — C’est un coup du ciel : quelque esprit aura mis ce papier dans le paquet pour vous faire la grâce de le placer sous vos yeux.

  1. Cette aventure des papiers livrés au roi par mégarde est une pure invention du poëte qui a transporté au cardinal Wolsey ce qui arriva à l’évêque de Durham, à l’égard de ce même cardinal Wolsey. Thomas Ruthall, évêque de Durham, membre du conseil privé de Henri VIII, fut chargé par ce prince de lui établir un compte rendu de l’état du royaume. L’évêque ayant fait ce travail, fit relier le volume qui le contenait de la même manière qu’un autre volume où il avait exposé très en détail le compte de sa propre fortune. Le roi lui ayant fait demander le compte dont il l’avait chargé, le cardinal l’envoya chercher dans sa bibliothèque par son secrétaire qui se trompa, et donna l’un pour l’autre : le cardinal, aussitôt qu’il se fut aperçu de la méprise, porta le livre au roi, lui insinuant que, lorsqu’il aurait besoin d’argent, il avait un trésor tout trouvé dans les coffres de l’évêque. Celui-ci, apprenant ce qui lui était arrivé, en conçut un tel chagrin qu’il mourut peu de temps après.

    Le poëte a encore enchéri sur ce fait, et ajouté dans le paquet remis au roi par inadvertance, une lettre de Wolsey au pape.