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ACTE II, SCÈNE III.

île de sa splendeur ? (Haut.) — Je vais aller trouver le roi, et lui dire que je vous ai parlé. ANNE. — Mon très-honorable lord…

(Sort le chambellan.)

LA VIEILLE DAME. — Oui, voilà le monde : voyez, voyez ! J’ai mendié seize ans les faveurs de la cour, et je suis encore une mendiante de cour, et quelque argent que j’aie sollicité, je n’ai jamais pu trouver le joint entre trop tôt et trop tard ; et vous, ce que c’est que la destinée ! vous qui êtes tout fraîchement débarquée ici (maudit soit ce bonheur qui vous arrive malgré vous !), on vous remplit la bouche avant que vous l’ayez seulement ouverte. ANNE. — Cela me paraît bien étrange. LA VIEILLE DAME. — Quel goût cela a-t-il ? Est-ce bien amer ? Un demi-noble que non. — Il y eut jadis une dame (c’est une vieille histoire) qui ne voulait pas être reine ; non, qui ne le voulait pas pour tout le limon d’Égypte. — Avez-vous entendu parler de cela ? ANNE. — Allons, vous êtes une railleuse. LA VIEILLE DAME. — Je pourrais, sur votre sujet, m’élever plus haut que l’alouette. Marquise de Pembroke ! mille livres sterling par an ! et cela par pure estime, sans avoir d’ailleurs rien fait pour le mériter ! Oh ! sur ma vie, ce début promet bien d’autres mille livres : la robe de la Fortune a la queue plus longue que le devant. — À présent, je commence à voir que vous aurez assez de reins pour porter une duchesse. — Dites-moi, ne vous sentez-vous pas un peu plus forte que vous n’étiez ? ANNE. — Ma bonne dame, cherchez dans votre imagination quelque autre sujet qui vous égaye, et laissez-moi de côté : je veux n’avoir jamais existé si cette faveur m’a le moins du monde ému le cœur : je le sens manquer quand je songe aux suites. La reine est sans consolation, et nous nous oublions trop longtemps loin d’elle. — Je vous prie, ne lui parlez pas de ce que vous avez entendu ici. LA VIEILLE DAME. — Quelle idée avez-vous de moi ?