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HENRI VIII.


autres ensemble. Aujourd’hui les Français tout brillants, tout or comme les dieux païens, éclipsaient les Anglais ; le lendemain ceux-ci donnaient à l’Angleterre l’aspect de l’Inde. Chaque homme debout semblait une mine ; leurs petits pages étaient comme des chérubins tout dorés ; et les dames aussi, peu faites à la fatigue, suaient presque sous le poids des richesses qu’elles portaient, et l’effort qu’elles avaient à faire leur servait de fard. La mascarade d’aujourd’hui était proclamée incomparable, la nuit suivante vous la faisait regarder comme une pauvreté et une niaiserie. Les deux rois égaux en splendeur paraissaient chacun à son tour, ou le premier ou le second, selon qu’ils se faisaient remarquer par leur présence. Celui qu’on voyait était toujours le plus loué, et lorsqu’ils étaient tous deux présents, on croyait n’en voir qu’un ; et nul connaisseur n’eût hasardé sa langue à prononcer un jugement entre eux. Dès que ces deux soleils (car c’est ainsi qu’on les nomme) eurent par leurs hérauts invité les nobles courages à venir éprouver leurs armes, il se fit des choses tellement au delà de l’effort de la pensée, que les histoires fabuleuses furent reconnues possibles, et que l’on en vint à croire aux prouesses de Bevis[1]. BUCKINGHAM.—Oh ! c’est aller bien loin. NORFOLK.—Non, comme je suis soumis à l’honnêteté et tiens à la pureté de mon honneur, la représentation de tout ce qui s’est passé perdrait, dans le récit du meilleur narrateur, quelque chose de cette vie qui ne peut être exprimée que par l’action elle-même. Tout y était royal : nulle confusion, nulle disparate ne troublait l’harmonie de l’ensemble ; l’ordre faisait voir chaque objet dans son vrai jour ; chacun dans son emploi remplissait distinctement toute l’étendue de ses fonctions. BUCKINGHAM.—Savez-vous qui a dirigé cette belle fête, je veux dire qui en a ajusté le corps et les membres ?

  1. Les anciennes ballades anglaises ont célébré la gloire et les exploits de Bevis, guerrier saxon, que son extraordinaire valeur fit créer duc de Southampton, par Guillaume le Conquérant.