bientôt l’un de vous deux se trouvera être un panneau retiré et se déjettera comme du bois vert.
TOUCHSTONE, à part.—J’ai dans l’idée qu’il me vaudrait mieux être marié par lui plutôt que par un autre ; car il ne me paraît pas en état de me bien marier ; et n’étant pas bien marié, ce sera une bonne excuse pour moi dans la suite pour laisser là ma femme.
JACQUES.—Viens avec moi, et laisse-toi gouverner par mes conseils.
TOUCHSTONE.—Allons, chère Audrey, il faut nous marier, ou il nous faut vivre dans le libertinage. Adieu, bon monsieur Olivier ; non.—O doux Olivier ! ô brave Olivier ! ne me laisse pas derrière toi ; mais pars, va-t’en, te dis-je, je ne veux pas aller aux épousailles avec toi.
SIR OLIVIER.—Cela est égal ; mais jamais aucun de tous ces coquins fantasques ne me fera oublier mon ministère par ses moqueries.
(Ils sortent.)
Scène V
On voit une cabane dans le bois.
Entrent ROSALINDE et CÉLIE.
ROSALINDE.—Non, ne me parle point ; je veux pleurer.
CÉLIE.—Contente-toi, je t’en prie… Mais cependant fais-moi la grâce de considérer que les pleurs ne siéent pas à un homme.
ROSALINDE.—Mais n’ai-je pas sujet de pleurer ?
CÉLIE.—Autant de sujet qu’on puisse le désirer ; ainsi pleure.
ROSALINDE.—Ses cheveux même sont d’une couleur fausse.
CÉLIE.—Ils sont un peu plus foncés que les cheveux de Judas[1] ; vraiment ses baisers sont les enfants de Judas.
ROSALINDE.—Dans le vrai, ses cheveux sont d’une bonne couleur.
- ↑ Judas avait la barbe et les cheveux roux dans les anciennes tapisseries.